Quand les entreprises se transforment pour tirer parti de l’incertitude – Sapeurs Pompiers du 71

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Imprévisible, incertain, en permanente mutation, voici le monde tel qu’on le définit depuis quelques années.

Mais comment prendre en compte cette nouvelle donne avec des organisations adaptées à un monde linéaire, des stratégies basées sur des prévisions, la sanction de l’erreur, une obsession pour la maitrise des risques et des salariés à qui l’on demande avant tout de se conformer aux prescriptions ?

Si ce constat est unanime, quels que soient les secteurs d’activité et les tailles des entreprises, il l’est encore plus en ce qui concerne les institutions publiques, encore très fortement imprégnées de l’esprit bureaucratique.

Au sein du Service Départemental d’Incendie et de Secours de Saône-et-Loire (SDIS 71) d’environ 2.500 collaborateurs professionnels et volontaires, à l’initiative du Colonel Michel Marlot, directeur du SDIS 71, plutôt que de vouloir s’épuiser a tout prévoir, plutôt que de « gérer » l’incertitude, le service s’est mis en capacité « de faire avec », et la nuance est de taille car Il faut accepter que ce que l’on va trouver est inconnu à l’avance.

Cette démarche a débuté il y a 7 ans, suite à une réflexion du Colonel Marlot : « Comment se fait-il que les pompiers étaient capables, en intervention, d’inventer de nouvelles pratiques (chaque incendie est unique et différent) et perdaient instantanément cette agilité de retour au SDIS ? ».

Si les raisons qui peuvent expliquer ce changement de comportement sont nombreuses, la plus importante semble trouver sa source dans le mode de management. Alors que sur le terrain les pompiers étaient encouragés à prendre des initiatives, cette initiative semblait s’éteindre de retour au centre. Comme dans toute organisation, les pompiers redevenaient des « salariés » soumis au respect des règles édictées par la hiérarchie.

Ce phénomène n’a rien d’exceptionnel. Si ce constat est unanimement partagé, rares sont les « leaders » qui ont le courage de modifier les « règles du jeu », surtout dans un environnement public où tout le système est construit sur le respect absolu de règles édictées par la (les) gouvernance(s).

Et le niveau de difficulté augmente lorsque l’organisation, comme c’est le cas au SDIS 71, est composée de 66 centres. La tendance est alors forte de vouloir uniformiser les pratiques. Mais si chaque centre concours au même but, faut-il cependant gommer toute différence ? Alors, au lieu d’aller à la simplicité, à savoir faire en sorte que tous ces centres fonctionnent de manière identique, le SDIS 71 s’est autorisé à valoriser cette diversité.

S’il n’y a pas de règles en la matière, il existe cependant quelques principes qui permettent aux entreprises de mieux naviguer en eaux troubles. En voici 4 :

Principe n°1 : Institutionnaliser le « leadership de l’incertitude »

Tout d’abord agir sur l’organisation. En plus de l’organigramme hiérarchique traditionnel, le SDIS 71 a mis en place un « Réseau d’intelligence territoriale » (R.I.A.) au sein duquel les différents acteurs sont invités à résoudre des « problématiques sans solutions connues ».

Le schéma organisationnel du SDIS 71 a comme particularité de faire à présent cohabiter 2 formes sociales, l’une destinée à assurer la stabilité du Service pour les activités habituelles et connues, l’autre, plus souple et plus agile, à faire face aux « situations sans solution connue« .

Principe n° 2 : Ancrer une culture de l’autonomie (coresponsabilité)

Mais il ne suffit pas de modifier une organisation pour mieux appréhender l’incertitude, il faut également impulser un nouvel état d’esprit basé sur la confiance et l’autorisation d’expression.

Le leadership de l’incertitude suppose d’ancrer de nouveaux modes de pensée et parfois de bousculer un certain nombre de croyances. En d’autres termes, il a été nécessaire de légitimer le fait que « le chef ne sait pas tout et n’a pas toujours raison« , qu’il « n’est pas possible de tout savoir« , qu’il « n’existe pas une bonne mais des solutions« , que « tout le monde peut avoir de bonnes idées » et pour que l’équipe intègre ces nouveaux paradigmes, le colonel Marlot a du les incarner et les démontrer par l’exemple.

Il est assez facile d’imaginer que ce type de discours soit déstabilisant pour des personnes habituées depuis des années à se conformer à des décisions de responsables considérés comme omniscients. Mais sans cette étape, le leadership de l’incertitude ne peut être instauré.

Pour éviter de perturber l’ensemble de l’organisation, il importe dans un premier temps de préciser que cette « philosophie » s’applique essentiellement à la nouvelle entité (ici le R.I.T.), même s’il y a fort à parier qu’à terme ce mode de collaboration pourrait influencer le mode de fonctionnement plus traditionnel.

Principe n°3 : Aborder les problématiques ensemble, d’égal à égal

Pour pouvoir aborder les problématiques rencontrées, le SDIS 71 a mis en place un O.V.N.I. (Organisation Volante Non Identifiée) et des B.R.A. (Bassin de Recherche et d’Action).

Tous les 2 mois, les cadres, et toute autre personne qui le souhaite, se rencontrent pour échanger, partager, donner leurs points de vue et trouver ensemble des solutions aux « préoccupations » (et non problèmes) qu’ils rencontrent. Les sujets sont à l’initiative des collaborateurs et les solutions étant les leurs, sont mieux acceptées et appropriées.

Avec du recul, les acteurs ont trouvé dans cette nouvelle organisation un espace de liberté d’expression mais aussi un lieu et un moment pour faire émerger des solutions qui n’auraient pu être trouvées autrement. Selon le Colonel Marlot « Les débats ne sont pas toujours faciles mais nous leur avons apporté de l’air, un temps de respiration et pendant qu’ils respirent, moi, je souffle« .

Principe n°4 : Accepter la prise de risque et changer son regard sur l’erreur

Le leadership de l’incertitude se différencie du management traditionnel au sens où, comme l’évoque le Colonel Marlot, « il faut accepter qu’organiser, gérer, maitriser n’est pas une fin en soi. Ce n’est qu’un moyen pour entreprendre, prendre des risques. On peut se tromper mais ce n’est pas une faute, c’est une opportunité pour faire autrement. Il faut admettre que rien n’est jamais gagné et que rien n’est jamais perdu. Cette dimension mentale, individuelle et collective, les pompiers, quand ils descendent de leur camion, l’ont toujours eue« .

Accepter l’erreur, prendre une décision sans pour autant savoir si elle est bonne, se défaire de son statut hiérarchique l’espace d’un moment sont autant de conditions qui, selon cette expérience, sont à la fois indispensables mais aussi difficiles parce qu’elles engendrent inéluctablement une remise en cause personnelle. Mais n’est-ce pas là la véritable (ré)volution managériale ?

Avec du recul, cette nouvelle approche collaborative a, non seulement permis de trouver des solutions qui n’auraient jamais été identifiées par le processus décisionnel traditionnel mais a également, et surtout, renforcé les liens entre collaborateurs et créé une unicité d’action qui n’aurait pas été possible au sein d’organisations encore fortement marquées par la division du travail et la délégation des responsabilités statutaires.

Cet exemple semble démontrer qu’il est tout à fait possible de libérer les initiatives et les idées au sein d’institutions fortement bureaucratisées, non pas en opposant les deux systèmes de pensée mais en les complétant. Ceci devrait rassurer certains dirigeants qui aimeraient s’engager dans des démarches similaires et qui n’oseraient le faire par crainte de déstabiliser « l’ordre existant ».

Pour en savoir plus sur le Colonel Marlot :

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