Quand les entreprises autorisent les erreurs – Air France

Vous avez aimé cet article ? N'hésitez pas à le partager !
Vous pouvez également vous abonner à notre NEWSLETTER en bas de page
image_print
4.8/5 - (5 votes)
Qualité totale, excellence, zéro défaut, maîtrise des risques, perfection, autant de mots d’ordres et d’injonctions sur lesquelles se construisent nos organisations et les relations en entreprise. Mais qu’arrive-t-il lorsque surviennent des erreurs ? Tout d’abord, le réflexe naturel de l’être humain face à ce genre de situation est de se défendre. On assiste alors à certaines réactions ô combien compréhensibles telles que le rejet sur autrui (c’est pas moi, c’est l’autre), l’argumentation logique (c’est la faute au process qui était défaillant), le dédouanement (j’avais prévenu, on m’a pas écouté) ou encore la faute à pas de chance (oui mais là, c’était exceptionnel). Mais l’erreur ne provoque pas que de la peur, elle peut également générer de la colère (contre les autres), de la culpabilité (colère contre soi) ou de la honte (humiliation face aux jugements des autres). Toutes ces émotions négatives, si elles ne sont pas acceptées et traitées de manière constructive, amènent inéluctablement à un mal être ou des tensions, voire de sérieux conflits au sein des entreprises. Par peur de représailles (première cause de non expression de l’erreur), rares sont les personnes qui acceptent et reconnaissent avoir commis une erreur. Et Dieu sait que dans notre pays, les représailles sont monnaie courante : on limoge un premier ministre car il est responsable de l’échec de son parti aux municipales, on demande la démission d’un PDG car les résultats sont mauvais ou encore on met au placard un salarié car il est allé à l’encontre d’une décision de sa hiérarchie (même s’il avait raison). La peur des sanctions est l’une des principales causes des jeux de pouvoir et des tensions entre personnes au sein des entreprises (ma carrière est foutue, je vais être discrédité…). Et pourtant, à bien y réfléchir, « Errare humanum est« . L’erreur est humaine et « normale » si l’on considère que le risque 0 n’existe pas, qu’il est impossible d’être toujours parfait ou de pouvoir tout prévoir. Il y a souvent un écart entre ce qui est prescrit dans une procédure et la réalité : les imprévus, les exceptions, les conditions de réalisation, les pressions temporelles… « Perseverare diabolicum » : Si l’erreur est humaine, persévérer dans l’erreur est diabolique. A force de vouloir éviter de reconnaître leurs erreurs, les entreprises, non seulement n’en tirent aucun bénéfice mais surtout augmentent le risque qu’elles se reproduisent. Pourtant, si l’erreur est mal vécue, elle est aussi une opportunité d’apprendre sur soi, sur les autres ainsi sur ce qu’il conviendrait de faire pour qu’elle ne se reproduise plus. Les conséquences des erreurs peuvent être marginales mais aussi catastrophiques. C’est pour cette raison que certains secteurs tels que l’aviation, le nucléaire ou le milieu médical se sont engagés depuis quelques années dans des démarches de « non punition des erreurs » ou plus précisément la mise en oeuvre d’une culture juste (ni injustement punitif, ni laxiste). C’est le cas notamment de la compagnie aérienne Air France qui a officialisé le principe de non punition de l’erreur, privilégiant ainsi l’apprentissage et l’amélioration des processus à la recherche du coupable. Le seul acte de sanction prévu est de punir les fautes intentionnelles. Car il y a une différence fondamentale entre l’erreur et la faute :
  • l’erreur est involontaire (due à un processus inadapté ou à des bévues humaines involontaires)
  • la faute est volontaire (due à une négligence, une désinvolture ou une intention de nuire)
Instaurée initialement dans les années 90, cette démarche a permis, selon Franck Debrouck, responsable R&D chez Air France Consulting d’éviter de nombreux crashs. Ce dernier va jusqu’à affirmer que si l’instauration de la non punition de l’erreur n’avait pas été décrétée, il y aurait à ce jour environ un crash par semaine car, selon les études menées en interne, « un homme, c’est 30 erreurs par jour, qu’on le veuille ou non« .[i] A ce titre, Air France a mis en place 3 dispositifs :

1 – l’Analyse Des Vols (ADV)

Un système d’analyse des vols intitulé Quick Access Recorder (AQR) déclenche une alerte lorsque l’examen automatique d’un vol fait ressortir un écart entre ce dernier et les conditions « normales » d’un vol aérien. Dans ce cas, le commandant répond de manière anonyme aux questions de manière à apporter des éléments sur les circonstances de ces écarts. L’anonymat s’entend dans le sens où son identité reste confidentielle de manière à inciter l’expression sans crainte de représailles. C’est ainsi que l’anonymat se substitue à la désignation du coupable et que la diffusion des enseignements remplace la sanction. En fonction de l’intérêt du cas, celui-ci peut être publié dans le Bulletin de sécurité des vols d’Air France, sans que soient mentionnés la date ni le numéro de vol, pour permettre à tous de bénéficier des enseignements de l’erreur commise.

2 – le Retour d’Expériences (REX)

Si l’ADV est systématiquement déclenchée suite à une déviance  lors d’un vol, il existe un autre dispositif intitulé le retour d’expérience qui est, par nature, spontané. Tous les salariés ont la possibilité de déclarer un dysfonctionnement, notamment de nature humaine. Chaque collaborateur a la possibilité de déclarer son erreur mais également une situation qu’il a pu observer source de dysfonctionnement (notez qu’il ne s’agit pas de délation mais de déclaration d’une « situation » non conforme).

3 – les Safety Reports

Différents des REX dont l’origine des incidents est souvent d’ordre humaine, le personnel a également la possibilité de déclarer un retour d’expérience lors d’un dysfonctionnement d’origine technique. Il s’agit des « Air Safety Reports« , « Ground Safety Reports » et « Cabine Safety Reports« . Ces Safety Reports sont signés du commandant de bord mais l’entreprise s’est engagée à ne pas sanctionner les personnes étant à l’origine des dysfonctionnements. La compagnie recense environ une centaine de rapports par mois. Toutes ces démarches ont permis à cette compagnie de modifier certaines pratiques pour réduire les risques d’erreurs comme, par exemple, l’instauration de la sieste obligatoire pour l’équipage lors de longs courriers ou encore de modifier les processus décisionnels dans les cockpits (Par le passé, la distribution des rôles au sein des cockpits était basée sur un principe hiérarchique : il y avait un commandant de bord et un copilote. Aujourd’hui la décision est basée sur un principe fonctionnel : celui du pilote en fonction et du pilote monitoring. Pour ceux qui l’ignorent, surtout sur les longs courriers, le commandement est confié de manière alternée entre le commandant et le copilote. L’étude d’incidents aériens a démontré que certaines erreurs auraient pu être évitées si le copilote disposait de la latitude décisionnelle lorsqu’il avait le commandement, surtout lorsque sa décision était différente de celle du commandant de bord. D’après Christian Morel, auteur du livre « les décisions absurdes », en ce qui concerne Koréan Air dans les années 90, 12 accidents graves ayant provoqués près de 750 morts sont à l’origine d’une autorité excessive dans le cockpit. Il était impensable de remettre en cause l’autorité à cette époque. Que l’on se rassure, ce n’est plus le cas aujourd’hui. Idée Force : Autoriser le droit à l’erreur à condition qu’elle soit source d’apprentissage, faire bénéficier le plus grand nombre des connaissances acquises au lieu de sanctionner le coupable car celui qui est à l’origine d’une erreur l’a rarement fait sciemment et que, au risque de choquer de nombreux dirigeants, l’erreur est une caractéristique de notre humanité. En effet, qui oserait affirmer qu’il n’a jamais commis d’erreurs ou qu’il n’en commettra jamais… Certaines entreprises vont même jusqu’à fêter leurs défaites Et parce qu’il n’est pas donné à tout le monde de faire preuve de courage, il semble opportun que les entreprises initient ce genre de démarches pour renforcer la responsabilisation de leurs collaborateurs, à commencer, peut-être par les dirigeants eux-mêmes ?

[i] Extrait de l’intervention de Franck Debrouck lors des 49ème journées des ingénieurs hospitaliers de France (IFH) de 2009
Vous avez aimé cet article ? N'hésitez pas à le partager !
Vous pouvez également vous abonner à notre NEWSLETTER en bas de page

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Retour en haut