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Et si la manière dont nous gérons nos collaborateurs était à revoir ?
Le locus de contrôle, concept clé en psychologie sociale introduit par Julian Rotter, permet de comprendre pourquoi certains employés se sentent déresponsabilisés, tandis que d’autres excellent lorsqu’ils ont les rênes en main.
Cette idée repose sur une distinction majeure : les individus avec un locus de contrôle interne croient qu’ils maîtrisent leur vie, alors que ceux ayant un locus de contrôle externe attribuent leurs succès et échecs à des facteurs extérieurs.
Dans cet article, nous montrons comment les pratiques managériales actuelles influencent cette dynamique et pourquoi il est urgent de favoriser un locus de contrôle interne pour libérer l’autonomie et la créativité des équipes.
Les systèmes de contrôle actuels : un piège pour l’autonomie
Pourquoi tant de collaborateurs se sentent-ils coincés dans leur rôle ? La réponse réside dans des modèles managériaux qui favorisent un locus de contrôle externe. Centralisation des décisions, contrôle hiérarchique excessif, procédures rigides : autant de pratiques qui freinent l’autonomie.
- Le cerveau sous pression : Les neurosciences, notamment les travaux de Richard Davidson, montrent que des environnements contrôlants activent l’amygdale, siège du stress et de l’anxiété. Résultat ? Les employés, confrontés à une pression constante, adoptent des comportements de retrait, évitent les prises d’initiatives et s’engagent moins dans leurs responsabilités. Ces mécanismes biologiques, associés au stress chronique, amplifient la perception d’un contrôle extérieur. Cela crée une boucle négative où les collaborateurs perdent confiance en leurs capacités.
- La démotivation apprise : Martin Seligman a démontré que lorsque les individus perçoivent un manque de contrôle, ils cessent de tenter d’influencer leur environnement. Dans le monde du travail, cela se traduit par des équipes démotivées qui, face à des consignes strictes ou à des décisions arbitraires, finissent par considérer leurs efforts comme inutiles. Ce sentiment d’impuissance engendre une réduction marquée de l’engagement et des performances globales.
- Une question de philosophie : Jean-Paul Sartre soutenait que la liberté repose sur la reconnaissance de notre responsabilité. Or, dans les entreprises où les décisions sont systématiquement imposées sans consultation, cette liberté est annihilée. Les collaborateurs se perçoivent alors comme de simples exécutants, privés de toute influence sur leur trajectoire professionnelle. Cette dynamique les empêche de s’approprier leurs succès ou d’apprendre de leurs erreurs, freinant leur développement personnel et professionnel.
De tels environnements managériaux, bien qu’efficaces à court terme pour maintenir une discipline ou garantir la conformité, compromettent à long terme l’engagement, la créativité et la performance des équipes.
Et si on laissait les salariés reprendre le(ur) contrôle ?
Qu’arrive-t-il lorsqu’un employé croit en sa capacité à influer sur son travail ? Tout change. Favoriser un locus de contrôle interne signifie donner aux collaborateurs les outils et la liberté nécessaires pour exceller.
- La motivation par l’autonomie : Selon Deci et Ryan, la motivation intrinsèque explose quand les individus se sentent autonomes et compétents. Les environnements qui permettent aux employés de choisir leurs méthodes de travail augmentent leur satisfaction et leur productivité. Une étude menée par Gallup montre que les entreprises où les collaborateurs ont un fort sentiment d’autonomie constatent une augmentation de 41 % de l’engagement des employés et une réduction de 28 % du turnover.
- Une confiance sociologique : Pierre Bourdieu souligne l’importance de l’autonomie dans la capacité des individus à développer une réflexion critique sur leur environnement. Lorsqu’un salarié se voit confier des responsabilités directes, il ne se contente pas d’exécuter : il remet en question, améliore et innove. Ainsi, une organisation favorisant l’autonomie permet à ses collaborateurs de devenir des acteurs du changement. Cela s’accompagne d’un fort sentiment de responsabilisation, où chaque membre de l’équipe se sent investi dans le succès collectif.
- Le plein potentiel humain : Aristote, dans son Éthique à Nicomaque, affirme que l’épanouissement individuel repose sur l’exercice actif des capacités humaines. Appliqué au monde du travail, cela revient à créer des conditions où chaque employé peut s’exprimer pleinement, prendre des initiatives et se sentir responsable de ses succès comme de ses échecs. Cela renforce la fierté personnelle, l’engagement et le désir d’exceller dans son rôle.
Redonner du pouvoir aux collaborateurs, c’est aussi reconnaître que chacun possède des compétences uniques, souvent sous-exploitées. En les laissant expérimenter, se tromper et apprendre, les entreprises investissent dans des équipes plus engagées et performantes. De plus, cette responsabilisation réduit les comportements d’évitement ou de blâme, augmentant ainsi la cohésion et la confiance au sein des équipes.
Des solutions concrètes pour soutenir l’initiative et la responsabilité des équipes
Pour sortir de cette dynamique délétère et responsabiliser davantage les équipes, les entreprises doivent revisiter leurs pratiques :
- Supprimer les approches trop hiérarchiques : Passer d’un modèle pyramidal à un modèle collaboratif, où chaque employé est encouragé à prendre des décisions et à résoudre des problèmes.
- Alléger les procédures : Éliminer les règles excessives qui freinent l’initiative des collaborateurs. Offrir une plus grande flexibilité dans les processus favorise l’autonomie.
- Encourager l’initiative personnelle : Mettre en place des mécanismes (comme des ateliers collaboratifs ou des programmes d’amélioration continue) pour permettre aux salariés d’être acteurs de leur quotidien et de l’avenir de leur organisation.
Ces entreprises qui redonnent du pouvoir à leurs équipes
Certaines organisations ont compris l’importance de responsabiliser leurs collaborateurs. Voici des exemples concrets :
- Schneider Electric : favoriser la prise de décision locale
Les managers régionaux de Schneider Electric bénéficient d’une autonomie significative pour allouer des ressources et définir des priorités stratégiques adaptées aux besoins locaux. Ce modèle s’aligne sur la théorie de l’autonomie et le locus de contrôle interne en donnant aux équipes locales un réel pouvoir décisionnel. - Michelin : les équipes semi-autonomes
Les équipes des usines Michelin organisent elles-mêmes leurs tâches quotidiennes et participent à l’amélioration continue des processus. Cela reflète directement les principes d’Aristote sur l’exercice des capacités humaines et stimule un engagement durable. - Danone : le programme Manifesto
Ce programme inclut les salariés dans les décisions stratégiques via des ateliers collaboratifs. En permettant aux employés de contribuer directement, Danone renforce leur sentiment de compétence et leur responsabilité, comme le souligne la théorie de l’autodétermination de Deci et Ryan. - Engie : une innovation participative au cœur des projets
Avec des plateformes numériques dédiées, Engie invite ses salariés à proposer des idées d’amélioration. Chaque contribution validée est mise en œuvre, valorisant ainsi le rôle actif des collaborateurs dans le succès de l’entreprise. - Toyota : le Kaizen comme philosophie
La pratique du Kaizen chez Toyota repose sur la participation active des salariés dans l’identification et la résolution des problèmes quotidiens. Cela crée un environnement où chaque employé se sent responsable de l’amélioration continue, renforçant leur locus de contrôle interne.
Un changement nécessaire pour libérer le potentiel des équipes
Loin d’être une simple théorie académique, le locus de contrôle est un outil puissant pour transformer les organisations. Des neurosciences à la philosophie, tout converge : donner plus de pouvoir aux collaborateurs les rend plus engagés, plus productifs et plus innovants. Les exemples de Schneider Electric, Michelin et Danone prouvent qu’il est possible de concilier performance et autonomie. En repensant nos modèles managériaux, nous pourrions enfin voir émerger des entreprises où chaque salarié se sent maître de son destin.
Références :
- Julian Rotter (1954) : Théorie du locus de contrôle, fondement de la psychologie sociale.
- Richard Davidson (2000) : Études en neurosciences sur le stress et son impact sur le cerveau, notamment l’amygdale.
- Martin Seligman (1975) : Travaux sur l’impuissance apprise et ses applications dans les environnements de travail.
- Deci & Ryan (1985) : Théorie de l’autodétermination et ses implications sur la motivation intrinsèque.
- Jean-Paul Sartre (1943) : L’Être et le Néant, réflexions sur la liberté individuelle et la responsabilité.
- Aristote : Éthique à Nicomaque, concept de l’eudaimonia et de l’exercice actif des capacités humaines.
- Gallup (2022) : Études sur l’engagement et la productivité dans les organisations.
- Rapports annuels et études de cas d’entreprises (Schneider Electric, Michelin, Danone, Engie, Toyota)