Responsabilité sociétale et innovation managériale : la symétrie des attentions
Les objectifs mondiaux de Développement Durable signés par la France impliquent de la part de nos entreprises qu’elles élaborent de nouveaux modèles économiques, moins prédateurs et plus respectueux de la Terre et des Hommes.
Modifier ses actions vis-à-vis de son environnement pour qu’elles soient plus sociétalement responsables et positives peut-il se faire en maintenant un système de management hiérarchique ?
Afficher des valeurs écoresponsables et ne pas les incarner dans la collaboration aboutit très souvent à une perte de crédibilité et à une remise en cause de la réalité de ce qui est mis en avant vers l’extérieur. C’est sans doute la raison pour laquelle la norme ISO 26000 invite l’entreprise à faire en sorte qu’il y ait une congruence entre ses actions envers son environnement et vis-à-vis de ses collaborateurs.
Ce principe, désigné sous le terme de « symétrie des attentions », a été mis en exergue en 2010 par Vineet Nayar dans son livre « Les employés d’abord, les clients ensuite ». Si son fondement est centré sur la relation client, il est tout à fait transposable au management de la RSE : prendre soin de ses collaborateurs permet de mieux prendre soin de son environnement.
Notre expérience en innovation managériale nous amène à penser que les entreprises ont tout intérêt à commencer à intégrer les valeurs de la RSE (bienveillance, responsabilité, transparence, respect et équité notamment) dans leur management pour mieux manager la RSE.
Pour ce faire, elles peuvent initier une démarche d’appréciation par l’ensemble des salariés du niveau d’incarnation de ces 5 valeurs dans les modes de collaboration puis, selon les résultats, adopter de nouvelles postures et pratiques managériales en s’inspirant d’entreprises qui se les sont pleinement appropriées.
Voici quelques exemples de pratiques collaboratives innovantes pour chacune de ces 5 valeurs.
En ce qui concerne la bienveillance, que l’on peut définir comme une attitude qui consiste à « vouloir du bien à…, prendre soin de… », la Française des Jeux s’est dotée en 2018 d’une application informatique intitulée Wittyfit qui permet aux collaborateurs de déclarer leur niveau de satisfaction périodiquement mais aussi à tout moment sur 9 domaines tels que la reconnaissance, la charge de travail, l’ambiance ou encore l’organisation. Accompagnés par les professionnels de la fonction ressources humaines, les managers restituent les résultats à leurs collaborateurs, mettent en avant les points forts et co-construisent avec leurs équipes des actions d’amélioration de la satisfaction.
La transparence, qui repose sur l’accès aux informations et l’authenticité dans la relation, est l’un des piliers de la confiance. Le co-fondateur de Airbnb, Brian Chesky, conscient que l’éloignement peut être source de préoccupation et soucieux de fédérer les 4.000 salariés affectés aux quatre coins du monde, répond chaque semaine à toutes sortes de questions posées par les collaborateurs sur une plateforme interne via une réunion intitulée « Questions et réponses du Président » diffusée en direct, pendant une heure. Ses allocutions sont conservées en format vidéo sur un site dédié de manière à ce que chacun puisse les consulter à tout moment.
La responsabilité, qui se manifeste par l’engagement et le fait d’assumer ses actes, relève davantage de la posture que du comportement. Pour sortir du « Command & Control » Décathlon en Belgique a estimé nécessaire de responsabiliser ses collaborateurs sur leur augmentation de salaire. Chaque année, lors de la période des entretiens annuels d’activité, le salarié qui le souhaite peut décider de s’attribuer une augmentation de salaire, sans validation hiérarchique, par le biais d’un processus intitulé « Self decision & advice process remuneration ». Pour ce faire, il doit légitimer sa demande en évoquant de manière très factuelle, entre autres, ses responsabilités et la création de nouvelles valeurs qu’il a apporté à l’entreprise sur la période. Une fois l’argumentation formalisée, il est invité à solliciter les points de vue des collègues de son choix. S’en suit une réunion où chacun formule son feed-back de manière à permettre au collaborateur de maintenir ou non sa décision. Si son manager peut le challenger sur son argumentation, il n’est pas prévu qu’il s’oppose au choix du Décathlonien car il lui fait confiance.
Le respect, au sens « prendre en considération… » est l’un des fondements d’une saine et riche collaboration. Mais pour qu’il y ait respect, il faut qu’il y ait prescription de ce qui doit être respecté de manière suffisamment claire pour pouvoir être évalué. C’est la raison pour laquelle Pfeiffer Vacuum, entreprise annécienne de 600 personnes, a décidé de définir 11 engagements communs à tous les managers et d’offrir la possibilité à ceux qui le souhaitent d’obtenir du feed-back sur leur niveau d’incarnation de ces engagements par le biais d’une évaluation faite par les responsables hiérarchiques, les managers eux-mêmes et leurs collaborateurs. Les résultats sont partagés en équipe et peuvent donner lieu à des actions de développement managérial.
L’équité sous-entend la nécessité que chacun soit traité de manière similaire ou tout du moins appropriée et qu’il n’y ait ni passe-droit, ni favoritisme, ce qui est malheureusement trop fréquent dans le monde de l’entreprise. Chez Morning Star, aux Etats-Unis, les désaccords et les tensions sont gérés par tous les salariés selon le même processus en 4 étapes. Lorsque deux personnes sont en désaccord, elles sont invitées à se rencontrer pour trouver une solution. Si elles n’y parviennent pas, elles peuvent solliciter un collègue qui jouera le rôle de médiateur. Dans le cas où elles n’auraient toujours pas trouvé de solution, elles peuvent constituer un collège de collègues qui auront pour rôle de les aider à trouver une solution. Si le désaccord persiste, elles doivent alors en référer au P.D.G. de l’entreprise qui prendra la décision à leur place ou mandatera une personne pour le faire. Cette démarche, applicable à tous les salariés, a pour but de les responsabiliser dans la résolution de leurs tensions ou leurs désaccords.
Lorsque les entreprises s’engagent dans une stratégie R.S.E., elles se concentrent essentiellement sur des actions externes (respect de l’environnement…). Si certaines mettent en œuvre des actions en interne, elles se limitent bien souvent aux conditions de vie au travail (démarche Q.V.T.).
Mais la R.S.E. va bien au-delà et constitue une formidable opportunité de repenser la relation aux « parties prenantes internes » en faisant évoluer certaines pratiques managériales de manière à ce que les modes de collaboration puissent être en cohérence et soutenir plus efficacement les actions de développement durable.