Vous pouvez également vous abonner à notre NEWSLETTER en bas de page
Les (premières) rencontres sans (aucun) C.V.
En seulement une journée, 36% de contrats signés :
88 entreprises – 143 postes en C.D.I à pourvoir -2.172 candidats
52 embauches, qui fait mieux ?
La genèse :
Un constat : entreprises et candidats peinent à se rencontrer
La stagnation du taux de chômage entre 8 et 10% depuis 10 ans serait-elle due à une pénurie du nombre d’emplois à pourvoir ? Il semble bien que non. Et c’est même le contraire puisque le nombre de projets d’embauches a augmenté de 172% sur cette période (de 989.000 embauches prévues en 2009 à 2.693.000 en 2019[1]).
Alors, comment expliquer qu’entreprises et candidats ne parviennent pas à se rencontrer ? Et lorsqu’ils y sont enfin arrivés, pour quelle raisons 4% des nouvelles recrues quittent leur emploi dès le 1er jour, 22% dans les 45 premiers jours et pourquoi 43% envisagent de rechercher un nouveau job dans les 12 premiers mois[2] ?
Énumérer la liste des causes serait bien trop long mais parmi tous les facteurs, il en existe deux principaux :
- D’un côté, les entreprises conditionnent leur choix sur la base des diplômes, des compétences et de l’expérience qu’elles estiment indispensables pour occuper le poste, ce qui limite manifestement le nombre de candidatures ;
- De l’autre, les candidats ne trouvent pas d’offres qui répondent à leur curriculum vitae et candidatent rarement sur d’autres métiers que les leurs, souvent par méconnaissance, par a priori négatif ou parce qu’ils n’osent pas.
Par conséquent, tant que ces critères d’adéquation entre l’offre et la demande demeureront, il y a fort à parier que la situation n’évoluera pas dans notre pays.
Fort de ce constat, les membres de la Chambre de Commerce et d’Industrie de Seine Estuaire ont décidé de changer de paradigme et d’expérimenter une nouvelle approche : initier une journée de rencontre entre entreprises et candidats, non pas sur la base des compétences (savoir-faire), mais des appétences (aimer-faire).
En effet, l’une des principales raisons qui explique le départ des candidats est l’absence de bien-être (au sein de l’entreprise) et de plaisir (dans la réalisation des activités).
S’assurer que le candidat éprouvera du plaisir à réaliser les missions confiées avant de décider de l’embaucher pourrait être un levier de limitation du risque de rupture de la relation contractuelle à court terme et intégrer la notion d’aimer-faire un gage de plus forte collaboration. C’est le pari que s’est fixée la C.C.I. Seine Estuaire en organisant le premier évènement du genre en 2019 : « Les rencontres sans CV ».
Une promesse : Mettre en relation des personnes qui ne se seraient jamais rencontrées autrement
Organiser une rencontre sans CV n’est pas nouveau diront certains, et ils auraient raison. Cependant, il y a une différence entre s’abstenir de faire référence aux compétences et proposer de se rencontrer autour des appétences. Là est la nouveauté !
La particularité de cette journée, et ce qui en fait une première dans notre pays, est qu’elle a été imaginée autour d’une promesse centrale : « Se faire rencontrer des personnes qui ne se seraient jamais rencontrées autrement », à savoir :
- Pour les entreprises, découvrir des profils de personnes qui ne répondent pas forcément aux compétences requises mais qui pourraient les acquérir dans la mesure où elles éprouveraient du plaisir à réaliser les activités de l’emploi ;
- Pour les candidats, découvrir des métiers auxquels ils n’auraient pas pensé et qui seraient source d’épanouissement personnel et professionnel.
Ces promesses sont nées des présupposés suivants :
- Ce n’est pas parce que l’on sait-faire que l’on aime faire.
- Un individu apprend plus facilement et rapidement un métier s’il est source de plaisir
- Il est possible d’apprendre à tout âge.
- Il est possible de changer plusieurs fois de métier dans sa vie.
Les critères de rencontre ont donc été inversés : au lieu de valider les compétences puis d’évaluer les motivations, entreprises et candidats se rencontrent autour des appétences puis échangent autour du niveau de facilité et de rapidité d’acquisition des compétences.
Attirer des demandeurs d’emploi, oui, mais pas que…
La démarche visait initialement les demandeurs d’emploi mais une fois l’expérience vécue, les organisateurs se sont rendu compte que beaucoup de salariés en poste étaient venus à cet événement. Pour quelles raisons ?
D’après une étude réalisée par Opinion Way en 2018 pour l’Oréal, 51% des français ont envie de se réinventer, à savoir changer complément de métier, principalement pour découvrir autre chose (30%) et retrouver du sens dans le travail (27%).
Cependant 71% des sondés déclarent que changer de métier est difficile, soit parce qu’ils ne s’en sentent pas capable, soit parce qu’ils ne savent pas à qui s’adresser pour les aider à se « réinventer » et surtout parce qu’ils doutent que les entreprises soient prêtes à prendre le risque d’offrir une opportunité de réorientation professionnelle à des personnes qui n’ont pas les compétences requises.
La journée de rencontres sans CV, telle qu’elle a été conçue, permet donc à des personnes en poste d’accéder à des opportunités de réorientation professionnelle.
Mais cette nouvelle manière de se rencontrer ne peut fonctionner que si l’on s’émancipe du concept de compétence, pour expérimenter celui d’appétence, comme les entreprises avaient tendance à le faire avant l’apparition des descriptions de poste et les référentiels emplois-compétences.
Compétences, appétences : quelles différences ?
Selon les statistiques de l’INSEE, la majorité des emplois à pourvoir ne requière pas de diplômes ou un niveau de diplôme inférieur au BAC. Et lorsque l’on interroge les entreprises sur la nécessité d’avoir des diplômes pour occuper la plupart des emplois, une grande majorité avoue que, s’ils sont intéressants pour révéler certaines aptitudes cognitives, ils ne sont souvent pas nécessaires pour apprendre le métier.
Par ailleurs, la maîtrise de bon nombre d’emplois repose sur des appétences qui ne s’apprennent pas, telles que la « débrouillardise », « l’originalité », le « sens du service » ou encore le « sens de l’esthétique ».
Différente de la compétence qui est avant tout de l’ordre du savoir-faire et du savoir-être, l’appétence est une aptitude innée, facile à mobiliser, qui procure du plaisir et qui généralement mène au succès.
Contrairement à la compétence qui « cloisonne » une personne à un métier, l’appétence permet « d’ouvrir » des perspectives de réorientation professionnelle sur des métiers différents.
Par exemple, si une personne déclare avoir des appétences telles que l’esthétisme, l’originalité, la créativité, la conceptualisation et l’adaptation, elle pourra assez rapidement apprendre les compétences dont elle aura besoin pour exercer des métiers tels que cuisinier, décorateur d’intérieur, paysagiste, agent de voyages, web designer ou encore marchandiseur.
Compte tenu du nombre d’emplois qui ne nécessitent pas de diplômes et qui sont cruciaux pour les entreprises, l’approche par les appétences offre de nouvelles perspectives en matière de recrutement.
C’est le pari qu’a souhaité relever la C.C.I. Seine Estuaire que nous avons accompagnée dans la conceptualisation de la première rencontre du genre.
Présentation
Une journée sans C.V. : comment ça marche ?
Étape 1 : Définir les appétences des emplois à pourvoir
Dans un premier temps, l’entreprise identifie le niveau de rapidité et de facilité d’apprentissage des activités de l’emploi. Cette appréciation permet d’identifier l’éligibilité du poste à pourvoir au dispositif. Si les activités sont trop complexes à réaliser ou nécessitent un temps d’apprentissage assez long, elle doit s’interroger sur la pertinence de présenter son offre d’emploi.
Si les activités de l’emploi peuvent être assez rapidement et facilement acquises, l’entreprise sélectionne les principales appétences en répondant à la question « Quels sont les plaisirs procurés par les activités de l’emploi ? » à l’aide d’une plateforme digitale qui propose un référentiel d’appétences.
Cet exercice est facilité lorsque la question est posée à des personnes qui occupent l’emploi concerné car il ne s’agit pas d’une méthode d’observation mais de révélation des ressentis personnels.
Étape 2 : Sélection des appétences des candidats
Avant la rencontre, les personnes sélectionnent leurs principales appétences via une plateforme dédiée.
Étape 3 : Rencontre entre entreprises et candidats sur la base des appétences
Les candidats se rendent dans les espaces qui mentionnent une ou plusieurs de leurs appétences et découvrent les entreprises et le ou les emplois qu’elles proposent.
Cette rencontre dure 7 minutes. L’échange est informel. L’objectif n’est pas de valider une candidature mais de se découvrir mutuellement et surtout d’identifier si le métier proposé par l’entreprise peut être source d’épanouissement pour le candidat.
L’entreprise complète un document qui retrace les échanges et mentionne le niveau d’adéquation des appétences ainsi que d’appropriation des compétences.
Étape 4 : Suite de la rencontre
Selon les échanges, entreprises et candidats ont la possibilité de poursuivre leur entretien dans un espace dédié ou échanger leurs coordonnées pour se revoir ultérieurement.
Bénéfices
Outre le fait que cette journée sans CV ait permis à des personnes en poste ou en recherche d’emploi d’identifier des métiers susceptibles d’être source d’épanouissement et auxquels elles n’auraient pas pensé et aux entreprises de découvrir des personnes qu’elles n’auraient jamais pu rencontrer autrement, la journée des rencontres sans CV, telle qu’elle été conçue et vécue, a permis :
- D’instaurer une relation plus authentique, bienveillante et conviviale entre les entreprises et les candidats dans la mesure où il n’y avait pas de pression d’obligation de résultat. Selon certains candidats, cette expérience les a amenés à percevoir les entreprises autrement et à changer leur regard sur les employeurs notamment parce qu’ils ne se sont pas sentis jugés et qu’ils ont pu bénéficier de feedbacks ;
- De s’autoriser des petites « erreurs de casting », dans la mesure où cet événement était officiellement annoncé comme étant expérimental ;
- Pour les candidats, de découvrir de nombreuses entreprises et métiers et pour les employeurs de rencontrer un nombre très important de candidats (entre 40 à 70 entretiens sur la journée), ce qui augmente la probabilité de trouver des profils qui n’aurait pas pu être identifiés par un procédé plus traditionnel.
Bien évidemment beaucoup de rencontres se sont révélées infructueuses puisque les personnes ignoraient les offres proposées et ont parfois été déçues de ce qui leur était proposé, mais compte tenu du résultat (36% de contrats signés en une journée), cette initiative peut incontestablement être qualifiée de succès.
Ce dont nous sommes certains c’est que « plus de la même chose produit les mêmes effets ». C’est la raison pour laquelle, au lieu de sélectionner sur la base du savoir-faire et d’attendre de constater si la personne aime-faire, peut-être aurions-nous intérêt, dans certaines situations, à sélectionner sur la base de l’aimer-faire puis d’accompagner les personnes dans l’acquisition des savoir-faire.
Verbatim des candidats :
- « Content de discuter et de recevoir des conseils directement de chefs d’entreprises (car habituellement nous n’avons pas de retour)»
- « La durée limitée à 7 minutes permet d’aller à l’essentiel»
- « Content de ne pas être assimilé à un CV mais à un être humain»
- « Échanges détendus, pas de pression dans la rencontre »
- « De belles surprises lors des rencontres, notamment la découverte de secteurs intéressants auxquels on n’avait pas pensé »
Verbatim des entreprises :
- « Très bon profils de candidats, différents de ceux habituellement rencontrés dans des forums traditionnels »
- « Cette journée nous a permis de découvrir des demandeurs d’emploi qui ne nous pas été présentés par les institutions (ce qui est compréhensible car le critère de connexion est différent) »
- « Les candidats se sont autorisés à évoquer ce qu’ils aiment et n’aiment pas faire, ce qui est rarement le cas dans des entretiens traditionnels »
- « Ravi d’avoir des échanges plus conviviaux où l’on s’autorise à s’intéresser vraiment aux personnes (sans se référer à des grilles bureaucratiques) »
Fort du succès de la journée sans CV de 2019, et après quelques ajustements issus des retours d’expérience, la C.C.I. de Seine Estuaire continue l’aventure en organisant la deuxième rencontre sans C.V. le 9 avril 2020 au Centre International de Deauville.
Vous apprécierez aussi :
- Quand l’entreprise valorise les appétences de ses collaborateurs – Partitio
- De la gestion des compétences au management des appétences
[1] Source : Enquêtes de Besoin en Main d’Oeuvre (BMO) de Pôle Emploi – 2019
[2] Source : Étude du cabinet Hay Group de 2018