Vous pouvez également vous abonner à notre NEWSLETTER en bas de page
Qualifiées d’égoïstes, d’exigeantes, d’impatientes, d’instables, de paresseuses, mais aussi de responsables, d’engagées, très attachées à leur équilibre de vie et désireuses d’exercer un métier qui a du sens, les nouvelles générations au travail mettent à mal l’autorité hiérarchique traditionnelle, qui ne les comprend pas et peine à les manager.
Mais, tout d’abord, qu’entend-on par « génération » ?
Que faut-il penser des critères de catégorisation des générations ?
Depuis toujours, les générations ont été définies en réaction à des évènements historiques marquants, des habitudes de vie similaires, des comportements communs et classifiées selon des tranches d’âge.
Ainsi, la génération X regrouperait les individus nés entre 1965 et 1980. On la dit débrouillarde, adaptable, mais aussi sceptique, car elle aurait vécu dans sa jeunesse la fin des 30 glorieuses, la montée du consumérisme et de l’individualisme.
De même, la génération Z est connue pour son franc-parler. Mais à bien y réfléchir, la franchise n’est plus l’apanage de la jeunesse. Désormais, toutes les générations s’expriment sans ambages, ce qui interroge sur la pertinence de leur différenciation selon des tranches d’âges.
En effet, si la référence aux « cohortes démographiques » est intéressante d’un point de vue sociologique, elle s’avère limitée, voire contre-productive, lorsqu’il s’agit de l’utiliser en matière de management, pour trois principales raisons :
- L’attribution d’un comportement ou d’une habitude de vie à une seule génération est absurde. Par exemple, cela n’a pas vraiment de sens d’affirmer que l’appétence pour les réseaux sociaux se limite aux « Digital natives ». La « génération X » utilise Facebook pour rester en contact avec ses amis, partager des photos de vacances et la « génération Y » aime à poster sur Instagram des selfies, des photos de son quotidien et suivre les influenceurs. Quant à la « génération Z », elle utilise Tik Tok pour se forger une personnalité en ligne, créer et diffuser des vidéos amusantes et créatives. Toutes trois utilisent les réseaux sociaux bien que les habitudes et les raisons divergent.
- Imputer des modes de pensée et des attitudes à des individus au regard de leur date de naissance est ubuesque, car cela revient à affirmer qu’ils ne changeront jamais et qu’ils seraient incapables d’apprendre et d’évoluer, sans compter que cela ne prend absolument pas en considération la singularité des personnalités ni son caractère inné.
- La tranche d’âge définie par les sociologues pour qualifier une génération, de 15 ans en moyenne, a perdu toute sa pertinence depuis l’accélération des évènements historiques marquants (à peine la crise des « gilets jaunes » de 2018 terminée, les Français ont dû vivre la crise « Covid-19 » en 2020, l’invasion de l’Ukraine par la Russie en 2022…).
De plus, l’absence de consensus, aussi bien sur la dénomination des nouvelles générations (génération Z, Alpha, Millénial, Digital natives, iGen…) que sur leurs tranches d’âges, ainsi que l’utilisation croissante de termes générationnels par les entreprises à des fins marketing et commerciales galvaude de plus en plus ce concept qui va finir par se vider de sa substance et être classé dans la catégorie « bullshit » si l’on n’y prend garde.
Mais outre ces constats, l’utilisation du concept de génération présente un autre inconvénient, lié à l’un des principes fondateurs de ce modèle : celui qui consiste à considérer que les changements de comportements sont principalement la conséquence d’évènements historiques (mondialisation, internet, pandémie, intelligence artificielle…).
Et si les évolutions des motivations, modes de pensée et comportements étaient la résultante d’un processus d’évolution naturel de notre humanité qui transcende l’action des Hommes ?
Si l’analyse des faits historiques nous éclaire sur les expériences vécues par les générations passées (le pourquoi ?), l’étude du sens de ces événements (le pour quoi ?) nous permet de mieux comprendre comment ils façonnent les motivations des générations à venir ainsi que leur contribution à l’évolution de notre société.
Et c’est de cela dont ont besoin les managers pour mieux composer avec les différentes générations et s’adapter au monde de demain.
Est-ce « l’homme qui fait l’histoire » ou « l’histoire qui fait l’homme » ?
Il est intéressant à ce stade de se remémorer que la notion de génération est un concept qui fut proposé par deux figures importantes de la sociologie il y a un peu plus d’un siècle :
- – Émile Durkheim, père fondateur de la sociologie française, reconnu pour avoir démontré, à la fin du XIXesiècle, que les générations se distinguent par leurs valeurs et leurs manières de penser.
- – Karl Mannheim, qui a mis en avant, au cours des années 1920, l’influence des évènements historiques sur la formation des générations.
La notion de cohorte démographique, quant à elle, a été démocratisée en 1965 par les sociologues Paul Vincent et Louis Henry dans leur ouvrage « Démographie et société » dans le but de distinguer les caractéristiques des générations pour mieux les différencier.
C’est sur la base de ces différents apports que la sociologie s’est démarquée comme une discipline scientifique ayant pour mission de comprendre et d’expliquer les sociétés humaines et leur évolution.
A ce titre, elle s’attache à décrypter l’influence des évènements historiques sur des groupes d’individus. Il s’agit donc principalement d’une science de l’observation a posteriori fondée sur le postulat que « Ce sont les Hommes qui font l’histoire ».
Mais il se pourrait bien qu’il en soit autrement, que ce soit « l’histoire qui fait les Hommes ». C’est ce qu’a mis en avant le philosophe allemand Georg Wilhelm Friedrich Hegel au début du XIXe siècle.
Selon lui, « L’histoire nous apprend que les peuples n’ont rien appris de l’histoire », ce qui signifie que, pour ce philosophe, les Hommes s’attachent à décrire les faits historiques sans pour autant chercher à en comprendre le sens et encore moins à identifier en quoi ils ont contribué à faire progresser notre humanité.
Or, de son point de vue, étudier le sens des évènements historiques permet de prendre conscience d’un paradigme selon lequel l’évolution de notre monde n’a rien d’hasardeux et que notre humanité évolue dans une certaine direction et que cette évolution est à la fois souhaitable (car source de progrès) et inexorable (elle s’imposerait aux Hommes, sans qu’ils ne puissent s’y opposer).
Ce constat n’est en outre pas l’apanage d’Hegel. Marc Aurèle, en son temps, l’avait déjà évoqué en déclarant « Tourne-toi vers le passé, vois la grandeur et la décadence de ses empires, et tu pourras prévoir l’avenir ».
Pour en revenir à Hegel, il est important de souligner qu’il ne nie pas que les évolutions sociétales sont le fruit d’actions humaines, mais il considère qu’elles sont guidées par un esprit supérieur, qu’il appelle la « Raison », qui, non seulement conditionne les mentalités individuelles, mais aussi évolue naturellement selon un cycle basé sur des oppositions, dont le but est de parvenir à des conditions de vie meilleures que celles passées.
Ce processus, intitulé « Dialectique hégelienne », repose sur 3 temps forts, à la fois distincts et complémentaires, intitulés « Thèse », « Antithèse » et « Synthèse ».
A titre d’exemple, la tyrannie (thèse) amène à la liberté (antithèse) qui aboutit à la loi (synthèse entre autorité et libre arbitre). Ce processus se répète ensuite avec la nouvelle synthèse qui devient la thèse d’un nouveau cycle dialectique.
Mais les philosophes ne sont pas les seuls à avoir identifié ce mécanisme d’évolution humaine.
Lorsqu’ils poursuivent les travaux de Clare Graves, fondateur de la « Spirale dynamique », modèle de présentation du développement de la conscience humaine, les psychologues Don Beck et Chris Cowan proposent en 1996 la théorie des « Niveaux d’existence », qui a pour mérite de simplifier les principales étapes d’évolution de notre humanité.
Pour eux, un niveau d’existence est un ensemble de besoins fondamentaux, un système de valeurs communes et une façon de percevoir le monde partagé par un groupe d’individus, une société, tout comme le propose la sociologie, à la différence que ce modèle donne du sens aux différentes étapes d’évolution, notamment en expliquant les raisons pour lesquelles elles sont apparues ainsi que l’origine du désir profond et irréversible que ressentent les êtres humains d’en changer.
Tout comme le philosophe Hegel, les psychologues Beck et Cowan parviennent au constat que les Hommes éprouvent le besoin d’adopter un nouveau système social lorsque l’idée fondatrice du précédent, qui représentait une réponse à une société devenue insatisfaisante, poussée à l’extrême, est devenue à son tour le problème.
Ainsi, notre humanité aurait ressenti le besoin d’adopter le niveau d’existence « Bleu – Ordre » il y a 6.000 ans (sacrifier ses désirs maintenant pour obtenir une récompense plus tard) en réponse à l’excès de violence induits par le niveau d’existence « Rouge – Pouvoir » apparu il y a 10.000 ans (satisfaire immédiatement ses pulsions, sans culpabilité).
Dans le même temps, Peter Senge, auteur du célèbre livre « La Cinquième discipline », systémicien et professeur de management, révèle à son tour ce mécanisme par sa célèbre phrase : « Les problèmes d’aujourd’hui viennent des solutions d’hier ».
Ce processus de changement « intrinsèque », composé d’une succession d’étapes « positives » (bien-être) et « négatives » (souffrance), permet de mieux comprendre les origines des évolutions des modes de pensée et des comportements des êtres humains, au-delà de toute influence d’évènements historiques (guerres, pandémies, innovations technologiques, crises économiques…).
Tous ces auteurs ont comme point commun d’émettre l’idée selon laquelle les évènements historiques sont des étapes d’un processus qui a sa propre finalité.
D’une certaine manière, philosophes et psychologues se démarquent des sociologues pour expliquer l’évolution de la société dans le sens où les premiers mettent en avant un processus continu de développement de notre humanité visant à une finalité (que nous évoquerons ultérieurement), contrairement aux sociologues qui se concentrent sur une succession de faits historiques marquants, sans pour autant créer du lien entre eux et leurs contributions à cette finalité.
Si nous disposons de nombreux modèles qui présentent l’évolution de notre humanité depuis son origine, nous n’en n’avons pas de récents qui décryptent l’accélération des changements des modes de pensée et des comportements de ces deux dernières décennies, qui sont à l’origine des principales difficultés de management actuelles.
C’est la raison pour laquelle il semblait nécessaire de proposer une grille de lecture plus actuelle, non pas en l’imaginant entièrement, mais en l’indexant à un concept universellement reconnu, élaboré par les psychologues américains Taïbi Kahler et Hedges Capers, intitulé les « Drivers », également désignés « Mots d’ordre » ou encore « Injonctions ».
Comprendre l’évolution des générations à travers les « Drivers » et leurs « Messages permissifs »
Proposé en 1974, ce modèle décrypte les principales injonctions intériorisées durant l’enfance, reçues des figures parentales ou éducatives, qui influencent profondément les comportements et modes de pensée, souvent de manière inconsciente.
Il met en lumière le principe de « Conformisme social » qui consiste, pour un individu, à adopter les opinions et les comportements édictés par le groupe auquel il désire appartenir pour s’y sentir bien ou éviter d’en être rejeté.
Il est intéressant de noter que, bien que les drivers aient été imaginés par des psychologues à des fins de développement personnel et d’amélioration de la relation, ils peuvent aussi être qualifiés de « Normes sociales » partagées par un groupe d’individus ou une société et subséquemment contribuer à la qualification des générations.
Par ailleurs, on retrouve, dans ce modèle, le même mécanisme d’évolution de la dialectique Hegelienne et de la Spirale Dynamique, à savoir qu’un mot d’ordre, intériorisée à l’excès par un individu (souvent par intention bienveillante d’ailleurs), va être à l’origine de difficultés qui vont altérer son bien-être et sa relation aux autres. Pour s’en libérer et se rasséréner, la personne va devoir, selon les auteurs, s’approprier un « message permissif », qui deviendra un nouveau driver.
Ainsi, l’excès d’attention au mot d’ordre « Sois parfait » peut conduire à de la rigidité d’esprit et de l’intolérance envers les autres, ce qui peut être à l’origine d’une altération de l’estime de soi et de sa relation aux autres.
Ce n’est qu’en s’autorisant à s’émanciper de ce driver que la personne pourra trouver de la sérénité. Dans cet exemple, une solution serait que la personne s’accepte telle qu’elle est, avec ses qualités et ses défauts (pour renforcer l’estime de soi et ne plus être victime de la pression sociale) et devienne plus tolérante envers les autres (pour réduire les tensions interpersonnelles). Ce « message permissif » prendra par la suite la forme d’un nouveau mot d’ordre que nous avons intitulé « Sois toi-même ».
Il existe donc une similitude entre la théorie des « Drivers » et la « Dialectique Hégélienne », avec ses notions de thèse (driver), d’antithèse (difficulté) et de synthèse (message permissif, qui devient le nouveau driver tout comme la synthèse devient la nouvelle thèse).
Cependant, contrairement à la pensée Hégélienne, les psychologues américains n’ont pas proposé la continuité du processus. Sans doute car leur objectif fut de proposer un outil pratique pour améliorer le bien-être individuel et les relations interpersonnelles et non d’analyser l’évolution des comportements humains.
Et pourtant, appliquer le principe de continuité en se basant sur les 5 mots d’ordre universellement reconnus en occident peut s’avérer particulièrement judicieux pour comprendre l’évolution des comportements et modes de pensée des générations actuelles et à venir en entreprise.
L’ambition de cet article est née de 2 principaux constats :
- Les 5 mots d’ordre ont été sélectionnés au début des années 70, soit il y a 50 ans. Il n’est pas ubuesque de considérer que, s’il sont toujours d’actualité, ils ne sont plus forcément centraux et que d’autres mots d’ordre ont pu émerger ces dernières décennies.
- Autrefois linéaire, calme et prévisible, le monde d’aujourd’hui est marqué par l’accélération des changements dans tous les domaines de vie, ce qui a pour effet d’accélérer le processus d’apparition de nouveaux mots d’ordre.
Dans un souci de modélisation et de simplification nous avons opté pour 3 dates d’apparition des mots d’ordre : 1974, 2004 et 2024.
Certains contesteront sans doute ce calendrier mais nous pensons qu’une première vague de drivers est apparue suite à l’accès au plus grand nombre à internet (2004 : libre circulation de l’information), puis une seconde, suite à la crise Covid-19 (2024 : revendication d’un meilleur équilibre de vie).
Intégrer la grille de lecture que nous proposons permet, selon nous, d’apporter plus de clarté dans la compréhension des comportements des nouvelles générations.
Elle a également pour mérite, pour les managers, de mieux composer avec cette diversité générationnelle et de savoir quand ils doivent s’adapter ou, au contraire, de préserver les modes d’organisation et de collaboration, comme nous l’aborderons après la présentation des nouveaux drivers.
Les mots d’ordre « Nouvelle génération »
Voici une présentation des nouveaux drivers issus des mots d’ordre proposés dans les années 70 :
Du « Sois parfait» au « Sois responsable »
- 1974 : « Sois parfait »…
Il s’agit ici de viser le sans faute, d’être irréprochable, d’agir conformément aux valeurs morales et aux règles de vie édictées par la société afin d’être reconnu et valorisé pour sa droiture, sa rigueur, son incarnation totale des normes sociales, son irréprochabilité.
… Mais pas rigide
Si le besoin de faire les choses à la perfection se veut vertueux, l’excès d’attention à cette injonction est à l’origine de nombreuses difficultés, telles qu’une insatisfaction chronique, la peur d’être jugé, une forte tendance à la culpabilité et à la critique négative, voire à de l’intolérance envers les personnes qui n’agiraient pas conformément aux normes sociétales.
- 2004 : Sois toi-même…
Il s’agit à présent de s’émanciper de toute forme de pression sociale, de ne plus voir sa confiance, son image et son estime de soi altérées lorsque l’on ne répond pas aux exigences imposées par son environnement et d’instaurer des relations exemptes de jugements et de critiques négatives.
À ce titre, il convient de renoncer au sans faute, de s’accepter tel que l’on est, de s’émanciper du principe de perfection, du zéro défaut, autant vis-à-vis de soi que des autres, de se montrer tolérant et relativiste par rapport aux normes sociales, voire d’oser les contester lorsqu’elles sont préjudiciables à son bien-être.
… Mais pas anticonformiste
Si la revendication de sa singularité permet de trouver plus de sérénité personnelle, l’excès d’attention à ce mot d’ordre est à l’origine de nouvelles difficultés induites par le rejet de toute forme de servitude, de soumission aux normes du groupe, par l’ultralibéralisation des mœurs qui condamne toute forme de jugement et de discrimination.
Le rejet du conformisme et le refus de se soumettre à la pression sociale au nom de la liberté individuelle, poussé à l’extrême, conduisent à des tensions relationnelles qui aboutissent, soit à une confrontation au groupe, soit à une exclusion sociale.
- 2024 : « Sois responsable »
Il s’agit maintenant d’exprimer son libre arbitre, de faire des choix en pleine conscience, selon les situations, de différencier lorsqu’il convient de se conformer aux normes du groupe ou quand il importe de poser ses limites et d’en assumer les conséquences.
Ce nouveau driver permet d’évoluer sereinement en société tout en restant soi-même, de s’assumer tel que l’on est tout en acceptant, quand il le faut, de se conformer aux règles de vie en collectivité.
Du « Sois fort » au « Sois authentique »
- 1974 : « Sois fort » …
Il s’agit ici d’être reconnu pour sa capacité à affronter la vie avec force et courage, sans se plaindre, à se débrouiller seul et à ne dépendre de personne. Pour y parvenir, il importe de cacher sa vulnérabilité, de ne pas paraître faible, de ne jamais se soumettre et à ce titre il est essentiel de ne pas montrer ses sentiments, voire de les réprimer pour faire face aux conflits, aux douleurs et aux dangers de la vie.
… Mais pas insensible
S’il est important de se montrer fort pour rester maître de sa vie, l’excès d’attention à ce driver est à l’origine de nombreuses difficultés pour soi mais aussi dans sa relation aux autres. La répression de ses émotions peuvent avoir des conséquences néfastes sur le bien-être aussi bien psychologique que physique. Elles ont également un effet préjudiciable sur la relation aux autres qui se traduit par une difficulté à composer avec les émotions des autres (considérés comme faibles) et apparaître comme une personne dure, autoritaire, dénuée de toute empathie, tel un robot, sans cœur ni âme.
- 2004 : « Sois bienveillant »…
Il s’agit à présent de se montrer attentif aux autres et attentionné. Cela nécessite de s’ouvrir aux autres, de faire preuve d’authenticité, d’exprimer ses émotions et d’accueillir celles des autres, de les reconnaître, de les accepter et de ne pas avoir de propos ou de comportements qui pourraient altérer l’ego et le bien-être de son entourage.
… Mais pas complaisant
L’excès de bienveillance est à l’origine de nouvelles difficultés, comme celles de ne pas oser exprimer ses ressentis ou points de vue par crainte d’être blessant ou mal vu, de se soumettre à la volonté des autres ou encore de ne pas prendre parti en cas de désaccord, ce qui peut altérer l’image de soi.
- 2024 : « Sois authentique »
Il s’agit maintenant de faire preuve d’assertivité, d’être fidèle à sa nature profonde, en accord avec ses valeurs et ses principes, de les affirmer dans le respect de l’autre.
Ce driver a pour but de trouver le juste équilibre entre les situations où il importe d’affirmer ses besoins de celles où il convient d’être consensuel.
Du « Fais plaisir » au « Sois raisonnable »
- 1974 : « Fais plaisir »
Il s’agit ici d’obtenir l’amour et l’approbation des autres en répondant à leurs besoins et en anticipant leurs désirs, quitte à renoncer aux siens. Pour y parvenir, il est fondamental d’être apprécié et accepté par son entourage, d’éviter les désaccords et les confrontations et d’être prêt à faire des concessions.
… Mais pas soumis
Le désir de faire plaisir aux autres et de préserver l’harmonie coûte que coûte a pour effet de refouler ses propres sentiments et de ne pas exprimer ses désirs et ses besoins.
Accorder trop d’importance à ce driver peut avoir de lourdes conséquences, telles qu’une faible estime de soi, conséquence d’une trop forte dépendance affective et d’un manque d’assertivité, de l’épuisement à force de vouloir contenter tout le monde ou encore de la frustration de ne pas être et faire ce que l’on veut vraiment.
- 2004 : « Fais toi plaisir »
Il s’agit à présent de profiter du jour présent et de s’abandonner à la joie de vivre, de privilégier son bien-être personnel, quitte à ce que cela se fasse au détriment de celui des autres. Cela se traduit par une expression plus franche et spontanée de ses désirs et le rejet de ce qui peut être source de souffrance.
… Mais ne sois pas égoïste
La focalisation sur le plaisir immédiat peut entraîner des impulsions excessives et des décisions irréfléchies qui ne prennent pas en compte les conséquences à long terme.
L’évitement de la souffrance aboutit à un refus d’engagement et à un rejet des responsabilités. Sous l’emprise de ce driver, les personnes peuvent négliger les besoins des autres, se montrer superficielles ce qui peut altérer la relation aux autres, voire conduire à l’isolement.
- 2024 : « Sois raisonnable »
Il s’agit maintenant d’avoir une approche réfléchie et équilibrée de son épanouissement dans le but de concilier la satisfaction de ses désirs individuels et les besoins collectifs.
Pour y parvenir, les personnes sous influence de ce mot d’ordre ont à cœur de se faire plaisir tout en sachant privilégier les besoins des autres lorsqu’il le faut.
Du « Dépêche-toi » au « Adapte-toi »
- 1974 : « Dépêche-toi »
Il s’agit ici d’être reconnu pour sa capacité à faire les choses rapidement et efficacement, d’enchaîner les activités, les projets et surtout les succès, car c’est à cette condition que l’on est reconnu. Chaque moment perdu étant une occasion manquée de prouver sa valeur, il faut agir vite, être hyper productif, démontrer ses compétences et sa performance, car on n’admire pas les gens pour ce qu’ils sont, mais pour ce qu’ils font.
… Mais pas oppressant
La course contre la montre et la peur de ne pas être à la hauteur génèrent une anxiété et un stress élevé qui peut altérer l’équilibre aussi bien physique que psychologique. La focalisation sur la rapidité empêche de savourer le moment présent et d’apprécier les acquis, menant à un sentiment d’insatisfaction chronique. Enfin, le ton impérieux, l’impatience et la pression infligée aux autres sont perçus comme de la domination et peuvent être à l’origine de tensions, voire de conflits avec ceux qui ne se conformeraient pas à ses exigences.
- 2004 : « Prends ton temps »
Il s’agit à présent de devenir maître de son temps et de son énergie. Cela suppose de s’autoriser à s’accorder des moments de qualité, pour soi (la relaxation, la méditation, les loisirs…) et avec les autres (la famille, les amis…) et de les vivre sans aucune culpabilité. Il importe d’avoir une approche plus réfléchie des situations de manière à éviter les mauvaises décisions, de ne plus accepter une charge de travail que l’on ne peut assumer, de renoncer à certaines activités qui seraient préjudiciables à son confort de vie, de prendre le temps de prendre le temps et de composer avec le rythme des autres.
… Mais ne sois pas passif
Si ralentir le rythme s’avère extrêmement bénéfique pour le bien-être personnel, la focalisation excessive sur ce driver peut avoir des effets préjudiciables sur la relation. Refuser de se soumettre au rythme des autres, à la pression des résultats, s’engager de manière conditionnelle peut être à l’origine de difficultés d’intégration et de collaboration. Les personnes sous l’emprise de ce mot d’ordre ont tendance à la procrastination, à prendre trop de temps dans les prises de décision, à hésiter ou à tergiverser. Elles sont jugées velléitaires et désengagées, ce qui peut être à l’origine de tensions interpersonnelles et peut conduire à l’isolement.
- 2024 : « Adapte-toi »
Il s’agit maintenant d’avoir un juste équilibre entre le temps consacré à sa vie privée et professionnelle. Cela passe par une aptitude à hiérarchiser les priorités selon l’urgence et l’importance des situations, à faire preuve de discernement dans ses choix, à différencier l’essentiel de l’accessoire, à s’investir pleinement quand il le faut, tout en s’accordant des moments pour son bien-être. Il importe de se montrer agile, souple, flexible.
Du « Fais des efforts » au « Fais de ton mieux »
- 1974 : « Fais des efforts »
Il s’agit ici de démontrer sa valeur par sa pugnacité, sa persévérance, de travailler dur, d’être pleinement investi dans ses activités, quoiqu’il en coûte, d’assumer ses responsabilités, de s’améliorer en permanence pour être reconnu pour sa capacité à réussir et relever toute sorte de défis.
… Mais ne t’épuises pas
Prises au piège d’un cycle épuisant d’un engagement acharné, aussi bien au niveau professionnel que personnel, les personnes qui accordent trop d’importance à ce driver culpabilisent de ne « jamais en faire assez », ne s’accordent aucun moment de répit, sacrifient souvent leur vie privée au profit d’une implication professionnelle excessive, ce qui est à l’origine d’un énorme épuisement aussi bien physique que psychologique, d’une altération de la confiance en soi (lorsque la réussite n’est pas au rendez-vous) ainsi que de sa relation aux autres, du fait de sa tendance à se plaindre, à râler et à critiquer.
- 2004 : « Ménage toi »
Il s’agit à présent de savoir « Ménager sa monture », d’éviter les surmenages inutiles, d’être fier de ses réussites, même si elles sont obtenues facilement, d’aller à l’ essentiel, de se concentrer sur sa zone de pouvoir d’action, d’utiliser les moyens disponibles pour atteindre le résultat, sans s’épuiser, ni s’échiner pour rien.
… Mais ne sois pas laxiste
Rejeter tout ce qui demande des efforts peut avoir des conséquences préjudiciables pour ces personnes qui peuvent être perçues comme paresseuses du fait de leur inaction, leur manque de rigueur et de persévérance, leur tendance à papillonner, à zapper dès que cela ne les intéresse pas. Se focaliser sur ce driver peut même altérer l’apprentissage et l’engagement.
- 2024 : « Fais de ton mieux »
Il s’agit maintenant de donner le meilleur de soi-même en tenant compte des circonstances et de ses propres ressources, de reconnaître ses efforts et ses progrès et de faire de ses erreurs et de ses échecs une source d’apprentissage et d’évolution, aussi bien à titre personnel que professionnel.
Ce mot d’ordre a pour but de différencier les situations où il convient de lâcher prise de celles où cela nécessite de persévérer.
Du management des générations à l’innovation managériale
La proposition de ces nouveaux drivers avait pour objectif de faciliter la compréhension de l’évolution des modes de pensée et des comportements des salariés des dernières décennies.
Mais au fur et à mesure de son élaboration, et après de nombreux échanges avec des professionnels qui nous ont aidés à en affiner le contenu, nous nous sommes aperçus que cette grille de lecture présentait d’autres intérêts, d’une portée plus large que celle des générations au travail, notamment celle d’apporter plus de clarté sur l’évolution de notre société et surtout qu’elle pouvait être utilisée pour légitimer un projet d’innovation managériale.
Voici les principaux enseignements qui se sont révélés à nous lors de nos travaux :
Plus ça change, plus c’est la même chose
Plutôt que de se focaliser sur la partie visible de l’iceberg, à savoir les comportements des nouvelles générations, les entreprises devraient être plus attentives à leurs origines pour prendre conscience que, si les modes de vie évoluent, les motivations restent peu ou prou les mêmes depuis des décennies.
Ce constat est d’ailleurs le point central de la pensée de Jeremy Bentham, philosophe britannique, à l’initiative de la théorie de l’utilitarisme, qui considère que, quelles que soient les époques, toutes les actions humaines sont motivées par deux pulsions fondamentales : la recherche du plaisir et l’évitement de la douleur.
« Si la mondialisation, les progrès technologiques et les transformations sociales bouleversent les modes de vie, certains aspects de la nature humaine et des relations interpersonnelles semblent bien traverser les époques ». Cette citation d’Alphonse Karr, journaliste et romancier français, nous invite à prendre de la hauteur sur l’illusion de la nouveauté concernant les relations humaines et notamment les tensions entre générations, qui est un phénomène ancestral, si l’on s’en réfère à Socrate qui déclarait il y a plus de 2.000 ans « Nos jeunes aiment le luxe, ont de mauvaises manières, se moquent de l’autorité et n’ont aucun respect pour l’âge. À notre époque, les enfants sont des tyrans ».
Pour quelles raisons les tensions entre les générations sont-elles aussi tenaces au fil du temps ?
Se référer à notre modèle permet de comprendre que ce que reprochent les anciennes générations aux nouvelles sont les comportements liés à l’émergence de nouveaux mots d’ordre qui se sont construits en opposition à l’excès d’attention des mots d’ordre précédents.
Ainsi, une génération qui accorde énormément d’importance au mot d’ordre « Fais plaisir » reprochera à la nouvelle génération, qui s’est construite avec le mot d’ordre « Fais-toi plaisir », d’être égoïste, parce qu’elle fait passer ses besoins avant ceux des autres.
Face à ce jugement, cette dernière lui rétorquera « Qu’il est essentiel de penser à soi pour son bien-être, que cela s’appelle être égocentrique et non égoïste » et qu’elle « Ne veut pas passer sa vie à se soumettre aux autres », comme elle l’a fait.
Ainsi, bien que le monde change, le processus d’évolution de notre humanité reste le même.
Notre grille de lecture permet par conséquent de ne plus être dans l’incompréhension des nouveaux comportements, ni dans les reproches mutuels pour se concentrer, en matière de management, sur les apports réciproques entre générations et surtout se préparer à intégrer les mots d’ordre à venir dont la vocation est de parvenir à trouver un plus juste équilibre, à savoir, dans cet exemple, de se faire plaisir tout en veillant à ce que cela ne se fasse pas au détriment des autres.
Si l’on admet l’idée selon laquelle les nouvelles générations se construisent en opposition aux anciennes, il est parfaitement compréhensible que les anciennes considèrent que « c’était mieux avant ». Mais est-ce vraiment le cas ?
Non, ce n’était pas mieux avant
Quoi de plus naturel que de se questionner sur le monde de demain lorsqu’on l’on aborde le sujet des générations.
Interrogés sur le sujet par l’institut Ipsos en 2023, 70% des Français ont déclaré avoir une vision pessimiste de l’avenir pour leurs enfants, notre pays et le Monde en général.
A cette peur de l’avenir s’ajoute une forte nostalgie du passé, à en croire une étude réalisée par l’Institut Montaigne la même année, au sein de laquelle 73% des Français considéraient que « C’était mieux avant », point de vue par ailleurs étrangement partagé par 70% des moins de 35 ans.
Pourquoi les sociétés modernes, malgré leurs progrès, semblent être en proie à un mal-être généralisé ? Assisterions-nous à la fin du monde, comme l’a prédit le philosophe René Guenon dans la première moitié du XXème siècle ?
Cette vision pessimiste du futur paraît très surprenante lorsque l’on sait, qu’en matière de santé par exemple, que l’espérance de vie est passée de 48 ans en 1900 à 83 ans en 2023 en France.
De même, et contrairement à ce que l’on pourrait croire, bien que le coût de la vie ait augmenté plus vite que les salaires, le pouvoir d’achat est passé de 0,20 euros par heure de travail en 1920 en moyenne à 10,25 euros en 2024 (Un ouvrier pouvait acheter 1,5 baguettes de pain par heure de travail en 1900 alors qu’il peut en acheter 10 en 2024).
En 1900, 50% des Français vivaient en dessous du seuil de pauvreté élémentaire contre 8% en 2023, selon l’Observatoire des Inégalités. De même, le taux de criminalité est passé de 67% en 1984 à 54% en 2024.
Bien évidemment c’est encore trop mais, à bien y réfléchir, même s’il existe encore beaucoup d’inégalités, l’histoire nous démontre que les conditions de vie des Français se sont considérablement améliorées ces dernières décennies (libertés individuelles, accès à l’éducation, aux soins, aux logements…).
Nous ne connaissons plus la famine, ni de guerres sur notre territoire depuis des décennies et nous avons développé une capacité à nous protéger des virus de plus en plus forte (la grippe espagnole aurait tué 0,64% de la population française entre 1918 et 1919 alors que la crise Covid-19 aurait provoqué 0,1% de morts entre 2020 et 2022).
Force est de constater qu’aux grandes causes d’effroi d’autrefois se sont substituées d’innombrables petites phobies, entretenues et nourries par nos médias, qui altèrent manifestement notre représentation du monde et nourrissent une forte tendance des Français au pessimisme, à la méfiance et à la critique négative, selon de nombreux sondages.
D’un point de vue global, nous pouvons dire que le monde va de mieux en mieux depuis plus d’un siècle, mais il se peut aussi que nous assistions depuis quelque temps à la fin d’un cycle, comme l’a précisé René Guenon, à une crise, celle du « monde Moderne », caractérisée par la primauté de la science sur la spiritualité, l’obsession pour la technique, le progrès et l’exaltation de l’individualisme.
Et c’est sans aucun doute ce dernier point qui est à l’origine de nombreuses difficultés rencontrées par les entreprises en matière de management, notamment depuis la fin de la crise Covid-19.
Comment composer avec des salariés qui privilégient à présent leur bien-être personnel, parfois au détriment de l’intérêt collectif ? Cette revendication de liberté a-t-elle sa place en entreprise ?
Indépendance vs autonomie
Il existe, pour bon nombre d’entre nous, une certaine confusion entre ces deux mots.
Du latin « in » (privé de) et « dependere » (être suspendu à), l’indépendance signifie n’être rattaché à aucune loi, contrairement à l’autonomie, d’origine grecque, contraction de deux mots, « autos » (ce qui vient de soi) et « nomos » (loi), ce qui désigne la capacité d’un individu à vivre selon ses propres lois.
En d’autres termes, vouloir être indépendant est marqué par le désir de ne dépendre ni de rien, ni de personne, alors qu’aspirer à de l’autonomie souligne une volonté de disposer d’une latitude d’action pour pouvoir vivre selon ses principes, ce qui est très différent.
Qu’on se le dise, contrairement à l’autonomie, l’indépendance n’a pas sa place en entreprise pour la simple et bonne raison que lorsqu’une personne a décidé de rejoindre un groupe, elle est forcément dépendante des autres et de ses normes de fonctionnement.
Puisque l’autonomie repose sur la possibilité de faire ses propres choix, cela nous amène naturellement à la question suivante : « Les individus sont-ils libres ? ».
Ce n’est pas ce qu’estime Thomas Hobbes, philosophe anglais du XVIIème siècle, qui en explique les raisons dans son livre « Le Léviathan », à travers sa théorie de « l’État de nature » et « l’État de droit ».
Pour lui, l’état de nature est un état hypothétique dans lequel les individus vivent sans lois, ni gouvernement, ni autorité centrale. Chacun est libre d’agir comme bon lui semble. L’inconvénient de cet état est qu’il conduit inévitablement à une situation de guerre de « tous contre tous » parce que, sans lois, « l’Homme est un loup pour l’homme », expression citée dans la comédie romaine « Asinaria » de Plaute au IIIème siècle avant Jésus-Christ. Et dans ce monde les forts l’emportent toujours sur les faibles.
C’est pourquoi, selon Hobbes, pour échapper à cette situation chaotique, les individus ont conclu un « Contrat social » par lequel ils renoncent à une partie de leur liberté individuelle en acceptant de se soumettre à une autorité, autrefois un souverain, aujourd’hui, l’État, en contrepartie de leur sécurité et de sa protection.
Renoncer à une partie de sa liberté en obéissant aux règles de vie de la société édictées par l’État est donc une condition essentielle pour que les êtres humains puissent vivre sereinement en groupe. Il en est de même en entreprise. En rejoignant une entreprise, les salariés s’engagent à obéir aux règles édictées par l’entreprise (contribution) en contrepartie d’un salaire (rétribution).
D’ailleurs, ce principe est clairement établi dans le Code du travail sous le terme de « Subordination unilatérale hiérarchique » et constitue l’un des fondements d’un autre pacte, le « Contrat de travail ». On peut donc affirmer que les salariés ne sont pas totalement libres en entreprise et qu’ils ne peuvent pas faire ce qu’ils veulent, tout comme les citoyens ne le sont pas en société.
Cependant, il convient d’apporter une nuance sur le sens que l’on donne au mot liberté. C’est ce que propose Jean-Jacques Rousseau, philosophe Genevois du XVIIIème siècle, qui différencie les notions de « liberté » et de « libre arbitre ».
De son point de vue, la liberté est l’état d’une personne qui n’est soumise à aucune contrainte extérieure et qui peut agir selon sa propre volonté alors que le libre-arbitre est la capacité à faire des choix dans un environnement contraignant.
Si, comme nous venons de l’évoquer, les individus ne disposent pas d’une totale liberté, ils conservent cependant leur total libre arbitre, à savoir une faculté à faire leurs propres choix, comme celui d’obéir ou de désobéir à la loi ou aux normes sociétales.
Transposé au monde de l’entreprise, on peut dire que tous les salariés ont la capacité de faire des choix comme ceux, par exemple, de respecter ou non les règles, de rester ou de quitter leur entreprise. Cela sous-tend qu’ils doivent se montrer davantage responsables des conséquences de leurs choix et de cesser de se mettre en victime.
C’est d’ailleurs l’un des 5 mots d’ordre 2024.
L’Homme est un animal politique
Parvenir à ancrer ces nouveaux mots d’ordre dans le but de trouver un plus juste équilibre entre la satisfaction des besoins individuels des salariés (le « Je ») et ceux de l’entreprise (le « Nous ») nécessite de prendre conscience de plusieurs principes de vie en communauté qui semblent de plus en plus malmenés par l’exacerbation de l’individualisme de ces dernières années.
Tout d’abord, il importe de sortir de cette « Lutte des classes » opposant patronat et salariés, mise en avant par Karl Marx, et croire, contrairement à ce qu’il a avancé, qu’il n’est pas nécessaire de faire la révolution pour convenir d’une nouvelle forme de collaboration plus juste et équitable pour toutes les parties prenantes.
Ensuite, il est nécessaire de comprendre que l’être humain n’est peut-être naturellement pas fait pour vivre en société. C’est ce qu’a avancé Sigmund Freud, célèbre neurologue Autrichien. Selon lui, l’Homme est avant tout un être de pulsion qui est obligé de les refouler pour vivre avec les autres et que cette répression pulsionnelle crée de la frustration et des névroses, ce qui est à l’origine du fameux « malaise dans la civilisation ».
Si l’on accorde du crédit à ses propos, se pose alors immédiatement la question suivante : « Pourquoi les êtres humains veulent vivre en société ? ».
Il faut remonter à la Grèce antique pour avoir des éléments de réponse et plus particulièrement s’intéresser au concept « d’animal politique » développé par Aristote dans son ouvrage « La Politique ».
Selon ce philosophe du IVème siècle avant Jésus-Christ, les êtres humains ont décidé de se regrouper au sein de cités, non pas par désir, mais par besoin. En effet, les individus ont besoin les uns des autres pour survivre et évoluer car, seuls, ils sont non seulement vulnérables, mais aussi limités.
C’est en se regroupant qu’ils ont pu satisfaire leurs besoins (se vêtir, se nourrir, se loger…) en misant sur la complémentarité des compétences. Pour Socrate, vivre en société, c’est bénéficier des compétences des autres en échange de la mise à disposition de ses compétences pour les autres.
Nous vivons depuis la fin de la crise Covid-19, une revendication d’indépendance de la part de nombreux salariés. Si, comme nous l’avons déjà évoqué, cet état n’a pas sa place en entreprise, il semble qu’elle soit une étape nécessaire pour aboutir au principe d’interdépendance, plus juste équilibre entre le « Je » et le « Nous ».
Ce principe d’interdépendance est d’ailleurs, selon la psychothérapeute américaine Katherine Symor, le stade ultime qui mène à l’autonomie, condition indispensable pour que tous les acteurs d’une entreprise s’approprient pleinement les mots d’ordre 2024.
On s’adapte ou ils s’adaptent ?
Beaucoup de managers, qu’ils soient juniors ou seniors, s’interrogent sur les bonnes réactions à avoir vis-à-vis de nouveaux comportements qu’ils ne comprennent pas ou qui leur semblent inadaptés en entreprise, ce qui les amènent à douter de ce qu’il convient de faire : est-ce à eux de s’adapter ou le contraire ?
Comment réagir face à un collaborateur qui consulte en permanence son smartphone pendant les réunions ? Si on se limite au comportement, sans chercher à en comprendre l’origine, il peut être considéré comme un acte anticonformiste (excès d’attention au mot d’ordre « Sois toi-même ») mais il se pourrait aussi que cette attitude soit guidée par le mot d’ordre « Ménage-toi », que ce collaborateur ait fait le choix d’utiliser son smartphone lors de cette réunion, car cela lui permet de traiter des activités dont les enjeux lui semblent plus importants que le contenu de la réunion.
S’intéresser aux origines des comportements au lieu de se limiter à les juger pourrait aussi être à l’origine d’une évolution des modalités des réunions d’équipe dans le but de s’aligner au mot d’ordre « Ménage-toi ».
Dans cet exemple, si le manager constate une tendance forte de la part de ses collaborateurs à se connecter sur leurs smartphones durant une réunion, cela pourrait signifier qu’il est peut être opportun de remettre en question aussi bien le fonds que la forme de ce temps d’échange collectif.
Si l’on se réfère au tableau ci-dessus, on peut considérer qu’il est du ressort du manager de s’adapter aux mots d’ordre et aux collaborateurs de s’adapter lorsque les comportements sont le fruit de l’excès d’attention à ces derniers.
Et après les mots d’ordre 2024 ?
Cet article avait pour objectif de permettre aux managers de mieux comprendre le mécanisme d’évolution des modes de pensée et des comportements des salariés en entreprise.
Nous pourrions penser que les mots d’ordre 2024 représentent le socle d’une collaboration plus équilibrée entre patronat et salariés puisqu’ils sont basés sur un plus juste équilibre entre la « sacrifice de soi » et « l’affirmation de soi ».
Mais cela reviendrait à ne pas prendre en considération le mécanisme d’évolution qui veut que ces nouveaux drivers, poussés à l’extrême, seront à l’origine de nouvelles difficultés.
De votre point de vue, quelles seront les difficultés nées de ces nouvelles injonctions et à quels nouveaux mots d’ordre donneront-ils naissance ?