En management, la bienveillance ça va dans les deux sens !

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Apparu dans les années 2000 en réponse aux dérives des pratiques managériales autoritaristes ainsi qu’à la montée des risques psychosociaux, le management bienveillant, fondé sur le désir d’humaniser les relations au travail, pourrait bien commencer à atteindre ses limites.

De la bienveillance à la complaisance

Une étude de PLOS ONE réalisée en 2022 démontre que l’excès d’attention au leadership bienveillant peut entraîner une dépendance émotionnelle excessive et une baisse d’initiative.

La même année, une enquête du CIPD[1] alerte que, lorsque le management bienveillant n’est pas associé à une responsabilisation claire, peut réduire la créativité et renforcer l’immobilisme.

Par ailleurs, une étude Gallup de 2022 met en avant que, si la bienveillance n’est pas contrebalancée par des attentes de performance peut diminuer l’engagement des salariés.

Enfin, une étude de Bain & Company’s menée en 2023 attire l’attention sur le fait qu’un management trop bienveillant peut conduire à une autorité complaisante qui se manifeste par une réticence au changement par crainte de nuire à l’harmonie ou de déplaire aux collaborateurs.

Comme nous l’avons expliqué dans un article sur les nouveaux drivers 2024, la bienveillance en entreprise fut une réponse à l’excès d’autoritarisme, mais force est de constater qu’aujourd’hui l’excès de bienveillance aboutit dans certaines entreprises à de la complaisance qui freine la collaboration.

Deux camps semblent s’affronter sur le sujet de la bienveillance en entreprise. D’un côté il y a les coachs, les professionnels humanistes qui maintiennent leurs positions sur le management bienveillant et de l’autre, des personnes, telles que la philosophe Julia de Funès, qui critiquent ce mode de management au point d’alerter sur le risque de sombrer dans une bien-pensance mortifère pour l’intelligence, sans d’ailleurs, comme à son habitude, proposer quoi que ce soit pour l’éviter.

Mais il existe une troisième voie, malheureusement trop peu explorée, qui consiste à partir du principe que la bienveillance doit être partagée et ne plus reposer uniquement sur les épaules des managers. Ancrer la collaboration bienveillante permettra sans aucun doute d’éviter que l’excès de bienveillance managériale ne tourne en bien-pensance mortifère.

Parce que les managers aussi ont besoin de bienveillance !

Saviez-vous que :

  • 6% à 17% des managers ont été victimes de harcèlement moral, d’intimidation et de violences verbales de la part de certains de leurs collaborateurs[2];
  • 72% des managers se déclarent stressés (59% pour les collaborateurs) ;
  • 63% se disent mentalement fatigués (46% pour les collaborateurs) ;
  • 49% se sentent isolés (37% pour les collaborateurs) ;
  • 58% expriment des doutes sur leurs capacités à assumer leurs responsabilités (44% pour les collaborateurs)[3]:
  • 36% des managers expriment un manque de reconnaissance (28% pour les collaborateurs)
  • 32% une difficulté à concilier vie professionnelle et vie privée (27% pour les collaborateurs)[4].
  • 52% des managers déclarent que le manque de soutien de leurs équipes rend leur fonction difficile à assumer[5].

Pour quelles raisons parle-t-on toujours de la souffrance au travail des collaborateurs et rarement, voire jamais, de celle des managers ?

De la subordination unilatérale à la symétrie des attentions

 Selon vous, qui devrait être concerné par la règle d’or, « Traite les autres comme tu voudrais être traité » : le manager, le collaborateur ou les deux ?

Considérer, comme le fait le législateur, que l’humanisation des relations est du ressort exclusif de l’autorité hiérarchique est une erreur fondamentale !

Dans une étude réalisée en 2019 par la HBR[i] des chercheurs indiquent que les managers se sentent frustrés d’être les seuls à fournir des efforts pour maintenir une relation bienveillante.

A en croire les travaux du sociologue français Norbert Alter, l’attention bienveillante ne doit pas être unidirectionnelle (du manager vers le collaborateur) mais partagée, à savoir que les collaborateurs aussi doivent se montrer attentifs à leurs managers.

Si les collaborateurs se sentent soutenus par leur manager, il est crucial qu’ils lui rendent cette bienveillance, estime le sociologue George Homans, auteur de la « Théorie de l’échange social ».

 

Les 10 engagements réciproques de la collaboration bienveillante

Parce que l’incitation à la bienveillance mutuelle ne sera jamais ancrée dans la réglementation sociale qui considère que tout est de la responsabilité du management, et parce que l’humanisation des relations ne va pas de soi, l’entreprise à tout intérêt à l’ériger en tant que normes sociales internes sous forme d’engagements réciproques. Nous vous proposons les 10 principaux :

 

1 – AUTHENTICITE

Selon le philosophe Emmanuel Kant, l’authenticité est une valeur fondamentale pour permettre à chaque individu de se réaliser en société.

Cependant, bien qu’essentielle dans les relations humaines, elle peut être difficile à maintenir dans un environnement professionnel où la pression sociale et la crainte de jugement influencent fortement les comportements.

Une étude menée en 2009 par le psychologue social américain Robert Cialdini démontre que les individus ont tendance à ajuster leur comportement en fonction des attentes des autres, réduisant ainsi la sincérité des échanges.

En entreprise, la hiérarchie accentue cette difficulté, car les employés peuvent hésiter à partager des opinions divergentes de celles de leurs supérieurs, par peur de nuire à leur image professionnelle ou de subir des représailles, selon le psychologue néerlandais Geert Hofstede.

Les engagements réciproques relatifs à l’authenticité

  • Le manager bienveillant est sincère et honnête dans sa relation, partageant ses opinions et ressentis, qu’ils soient positifs ou négatifs, dans le respect de l’autre.  Il est humble. Il dit ce qu’il fait et fait ce qu’il dit
  • Le collaborateur bienveillant exprime avec sincérité ses préoccupations et ses opinions dans un état d’esprit constructif et positif.  S’il s’exprime avec franchise, il le fait dans le respect mutuel et sans agressivité

Exemples de bonnes pratiques d’entreprises

  • Chez Google, la « TGIF » (Thank God It’s Friday) est un rituel hebdomadaire où les dirigeants partagent leurs décisions stratégiques, écoutent les questions des employés et répondent de manière transparente. Cela permet de créer un climat où la sincérité et l’authenticité sont valorisées, et où les employés sont encouragés à poser des questions ouvertes sans crainte de répercussions.
  • L’entreprise Patagonia, spécialisée dans la fabrication de vêtements techniques de sports de montagne et de surf, organise des « activités de feedback 360° »qui permettent à chaque employé d’exprimer librement ses ressentis et ses idées concernant les pratiques internes, encourageant ainsi une culture de transparence et d’authenticité dans toutes les interactions. Ce rituel de retour d’information régulier crée un espace où l’authenticité est systématiquement renforcée.

2 – TRANSPARENCE

Des recherches en neurosciences ont montré que la transparence réduit le stress en éliminant l’incertitude, ce qui permet d’améliorer la performance cognitive et émotionnelle (Goleman, 2013), mais elle rencontre souvent des résistances liées à la réticence des managers à partager certaines informations stratégiques.

En effet, selon le professeur néerlandais Mark Bovens, les entreprises ont souvent peur de divulguer des informations au motif qu’elles pourraient être sources d’inquiétudes ou déstabilisantes pour leurs collaborateurs. Or l’opacité est la première cause de méfiance et la source de nombreux ragots .

De plus, selon le sociologue hongrois Paul Hollander, certains managers peuvent être enclins à préserver leur pouvoir en limitant la diffusion de certaines données, ce qui est contraire à l’esprit collaboratif, d’où la nécessité d’ériger la transparence comme étant une valeur fondamentale en entreprise, sous réserve toutefois d’accepter que certaines informations ne peuvent pas être communiquées, compte tenu de leur confidentialité.

Les engagements réciproques relatifs à la transparence

  • Le manager bienveillant partage ses réflexions avec son équipe ainsi que les informations qui leur sont utiles sur toute sorte de sujets pour préserver la confiance mutuelle. Il se réserve le droit de ne pas communiquer les informations confidentielles et n’aborde pas de sujets individuel sensible en groupe
  • Le collaborateur bienveillant contribue activement à la circulation d’informations et n’hésite pas à demander celles dont il a besoin pour réaliser ses missions. Il ne fait pas de rétention d’informations et ne participe pas à la propagation de rumeurs ou d’informations non vérifiées qui seraient de nature à déstabiliser l’équipe

Exemples de bonnes pratiques d’entreprises

  • Chaque semaine, Zappos, société américaine de vente de chaussures en ligne, organise chaque semaine des réunions ouvertes, intitulées « All Hands», où la direction partage des informations sur les performances de l’entreprise, les objectifs stratégiques et les défis rencontrés. Ces sessions permettent aux collaborateurs de poser des questions directement aux dirigeants, favorisant ainsi une communication bidirectionnelle et transparente.
  • Les dirigeants de Buffer, entreprise spécialisée dans la gestion des réseaux sociaux, rendent accessibles ses salaires, ses décisions stratégiques et même ses échecs, encourageant ainsi une transparence totale qui permet à tous les employés d’être informés et de participer activement à la direction de l’entreprise.

3 – ECOUTE

Selon Carl Rogers, psychologue humaniste, l’écoute sincère est la base de saines relations, car elle démontre une acceptation de l’autre, qui se sent alors considéré. À l’inverse, le manque d’écoute renforce la distance entre les individus et laisse place aux incompréhensions, voire aux jugements rapides, rendant la collaboration difficile.

L’écoute de l’autre, et notamment le fait d’accepter de ne pas avoir forcément raison, est souvent compliqué en entreprise car être perçu comme ayant raison augmente l’estime de soi, ce qui peut pousser certaines personnes, alors victimes de leur ego, à affirmer leurs opinions sans prendre en considération celles des autres.

De plus, le biais de confirmation, étudié par Tversky et Kahneman en 1974, pousse les individus à privilégier les informations qui confortent leurs propres croyances, rendant difficile l’ouverture aux perspectives différentes.

Selon le neuropsychologue Daniel Goleman, écouter attentivement libère des hormones comme l’ocytocine, qui renforcent les liens sociaux et diminuent le stress, contribuant à un environnement de travail plus serein et plus productif.

Les engagements réciproques relatifs à l’écoute

  • Le manager bienveillant offre des espaces d’expression individuels et collectifs et accorde une attention réelle aux ressentis, attentes et besoins de ses collaborateurs. S’il est attentif et fait preuve d’empathie, ce n’est ni un psy ni un assistant social
  • Le collaborateur bienveillant s’intéresse à la vie de l’entreprise, à ses collègues, questionne et demande des clarifications en cas d’incompréhension. Il ne reste ni passif, ni centré sur lui-même

Exemples de bonnes pratiques d’entreprises

  • Les « Listening tours » de Salesforce sont un excellent exemple de pratique managériale favorisant l’écoute. Les dirigeants de l’entreprise vont directement à la rencontre des employés pour recueillir leurs idées et préoccupations, assurant ainsi un dialogue continu.
  • Airbnb met en place des « Team huddles » où chaque membre de l’équipe peut partager ses réflexions et préoccupations. Ce processus d’écoute active renforce la culture de transparence et améliore l’engagement des employés.

4 – DIALOGUE

Selon un sondage OpinionWay de 2022, 72% des salariés estiment ne pas recevoir suffisamment de feedback de la part de leur hiérarchie. Ce constat est corroboré par une étude de Deloitte de 2020 qui met en exergue que 15% des collaborateurs reçoivent du feedback de manière hebdomadaire, 30% mensuellement et 55% n’en reçoivent que lors de leur entretien annuel.

Par ailleurs, dans un article paru dans Le Monde en 2020 intitulé « La parole au travail, un tabou français », 54% des collaborateurs déclarent éviter de donner leur avis par crainte de représailles et de conflits et 45% des managers avouent renoncer à dire ce qui ne va pas parce qu’ils sont mal à l’aise.

Quel dommage car, si l’on en croit une étude réalisée par la Harvard Business Review en 2019, les salariés recevant un feedback régulier sont jusqu’à 3 fois plus productifs que ceux qui n’en reçoivent pas et 72% des collaborateurs déclarent que leur performance s’améliorerait s’ils recevaient un feedback plus constructif, sachant que, contrairement à ce que l’on pourrait penser, 57% préfèrent recevoir un retour d’informations correctif dans le but de progresser que des éloges.

Enfin, selon une enquête Gallup de 2017, les entreprises qui favorisent un feedback bidirectionnel (du manager au collaborateur, mais aussi du collaborateur au manager) constatent une réduction de 14,9% du turnover.  

Malheureusement, la France est un pays dont la pensée critique est l’un des piliers de la pensée intellectuelle, ce qui a pour incidence de percevoir le feedback davantage comme une critique sur soi et ses compétences que comme une incitation au développement personnel et professionnel, d’où la nécessité d’instaurer le dialogue comme étant un pilier de la collaboration bienveillante.

Les engagements réciproques relatifs au dialogue

  • Le manager bienveillant procède à des feedbacks réguliers factuels et constructifs auprès de ses collaborateurs dans le but de les aider à progresser professionnellement. S’il prend les précautions pour ne pas être blessant, il n’est pas complaisant pour autant et fait preuve de courage dans son feedback
  • Le collaborateur bienveillant accueille positivement les retours de son manager, s’assure de les avoir bien compris et les prend en considération. Il ne doit pas les percevoir comme des critiques ou des attaques personnelles et accepte de se remettre en cause si nécessaire

Exemples de bonnes pratiques d’entreprises

  • Adobe a introduit le rituel du « Check-in ». Ce système remplace les évaluations annuelles de performance par des feedbacks continus, où les managers et les employés se rencontrent régulièrement pour discuter des performances, des objectifs et des axes d’amélioration. Cette pratique permet d’assurer un dialogue ouvert, continu et constructif.
  • Netflix encourage un feedback ouvert et direct avec des sessions de « 360 Feedback« . Ce processus permet aux employés de recevoir du feedback de leurs pairs, subordonnés et managers. Il n’y a pas de « recours aux RH » pour les conflits, car l’entreprise encourage ses employés à résoudre leurs différends en face-à-face. Cette approche favorise l’authenticité et encourage les collaborateurs à partager et à recevoir du feedback honnêtement, indépendamment de leur position.

5 – COHESION

Si la cohésion des membres d’une équipe est incontestablement une force pour l’entreprise, elle n’est pas aussi naturelle qu’on peut le penser chez les êtres humains.

Selon Aristote, les êtres humains collaborent davantage par besoin que par désir, parce que la vie en communauté est indispensable pour satisfaire leurs besoins individuels fondamentaux. De son côté, le philosophe Thomas Hobbes explique que, dans l’état naturel, chaque individu est en compétition avec les autres pour assurer sa survie. C’est donc par peur du danger que les êtres humains acceptent de restreindre leurs libertés personnelles pour des règles communes, fondant ainsi un contrat social basé sur la nécessité de stabilité et non sur un choix enthousiaste de vivre ensemble.

De son côté, le sociologie Émile Durkheim avance que la coopération est une « contrainte sociale » imposée par les structures et normes de la société pour maintenir l’ordre et la cohésion.

Non seulement la cohésion n’est pas naturelle mais elle est rendue encore plus difficile lorsque l’entreprise est marquée par une culture hiérarchique très forte, ce qui est le cas de notre pays.

En effet, selon le psychologue néerlandais Geert Hosede, la France se distingue par un score élevé de distance hiérarchique (68/120), où les relations de pouvoir et d’autorité sont fortement marquées, ce qui a pour effet de limiter les interactions spontanées, rendant la cohésion plus difficile que dans d’autres pays, comme les Etats-Unis par exemple, dont le score est de 40/120.

Si ces dernières années ont été marquées par une revendication d’une plus forte autonomie, beaucoup de personnes confondent le fait de « se gouverne par ses propres loi » avec l’indépendance, qui « ne dépend, ni de rien, ni de personne ». Si l’autonomie n’altère pas la cohésion d’équipe, ce n’est pas le cade de l’indépendance et il ne peut pas y avoir d’indépendance en entreprise car c’est avant tout un système collectif.

Les engagements réciproques relatifs à la cohésion

  • Le manager bienveillant impulse et préserve la cohésion d’équipe en organisant des moments de convivialité, de partage et de co-construction. S’il est centré sur les résultats, il n’oublie que sa vocation première est de valoriser l’intelligence collective
  • Le collaborateur bienveillant privilégie l’intérêt commun à ses ambitions personnelles et prend en compte les autres dans ses actes et ses décisions. Cela ne veut pas dire qu’il doit se soumettre au groupe si cela ne convient pas à ses besoins ou à ses valeurs

Exemples de bonnes pratiques d’entreprises

  • Pixar a instauré des réunions quotidiennes intitulées les « Dailies» pendant lesquelles les artistes et techniciens se retrouvent pour présenter leur travail en cours. Les membres de l’équipe montrent leurs scènes, animations ou concepts devant leurs collègues et reçoivent des retours instantanés. Cette pratique permet de limiter l’esprit de compétition et mettre en avant la primauté du sens commun.
  • L’entreprise de distribution alimentaire américaine, Whole Foods Market utilise un système de primes basées sur la performance de l’équipe plutôt que sur les performances individuelles. Les employés de chaque magasin travaillent vers des objectifs communs, et les bonus sont distribués en fonction des résultats collectifs. Toute l’équipe doit atteindre des objectifs de vente et de satisfaction client pour être récompensée.

6 – EQUITE

Si le monde de l’entreprise est fondé sur le principe d’égalité (des droits principalement), il n’en n’est pas de même avec celui d’équité, ce qui peut avoir pour incidence d’augmenter le sentiment d’injustice.

En 1987, en se basant sur la théorie de l’équité de Johan Adams, Jerald Greenberg propose sa théorie de la justice organisationnelle dans le but de distinguer 3 types de sentiment de justice en entreprise :

  • Le sentiment de justice « relationnelle » qui repose sur la perception d’être traité et considéré de la même manière que les autres ;
  • Le sentiment de justice « procédurale », qui repose sur le caractère équitable des critères décisionnels ;
  • Le sentiment de justice « distributive » qui consiste à considérer que sa rétribution est proportionnelle à sa contribution.

Alors que 54% des Français déclaraient en 1993 avoir le sentiment d’avoir un bon équilibre entre rétribution et contribution, 48% ont déclaré en 2022 s’estimer plutôt perdant, selon un rapport d’Ipsos.

La difficulté d’instaurer une relation juste est extrêmement complexe car chaque individu apprécie l’équité au regard de sa perception qui peut être très subjective, du fait de nombreux phénomènes, tels que la perception sélective de la réalité ou des biais cognitifs, comme le biais de favoritisme (tendance à privilégier certains individus) ou le biais de halo (tendance à évaluer positivement son action en se focalisant sur un critère sans prendre en compte les autres).

Parce que le sentiment d’injustice peut altérer de manière irréversible la relation, il est indispensable d’autoriser son expression pour pouvoir identifier s’il est ou non fondé, ce qui est loin d’être aisé compte tenu de sa subjectivité.

Les engagements réciproques relatifs à l’équité

  • Le manager bienveillant crée les conditions d’une collaboration juste et équitable aussi bien au niveau opérationnel que relationnel. Il n’a ni chouchou, ni tête de turc et explique les critères sur lesquels il prend ses décisions pour éviter tout risque de sentiment d’injustice
  • Le collaborateur bienveillant s’assure que ses demandes soient justes et équitables, se montre factuel et objectif dans son analyse des situations. Il veille à ne pas se laisser piéger par ses émotions et ses biais cognitifs

 Exemples de bonnes pratiques d’entreprises

  • L’entreprise américaine Ben & Jerry’s, qui fabrique et commercialise des glaces, organise des réunions intitulées « Open dialogues » sur les questions d’équité et de justice au sein de l’entreprise, où les employés peuvent discuter ouvertement de leurs préoccupations liées aux traitements inéquitables et où les managers sont invités à partager les critères utilisés pour leurs décisions
  • IBM a mis en place des « Panels de Promotion Transparents » où les décisions de promotion sont prises de manière collective et documentée. Ce processus inclut des représentants de plusieurs départements et garantit que chaque employé est évalué selon des critères précis et partagés. En donnant accès aux critères et en impliquant plusieurs personnes dans les décisions, IBM réduit les perceptions d’injustice procédurale.

7 – AUTONOMIE

Selon la Théorie de l’autodétermination de Deci et Ryan (1985), l’autonomie est un besoin psychologique fondamental qui, lorsqu’il est satisfait, augmente la motivation intrinsèque et le bien-être des individus.

Cependant, dans de nombreux environnements de travail, les structures hiérarchiques rigides et le contrôle accru des tâches sont des freins majeurs à l’autonomie. Les managers ont souvent du mal à déléguer véritablement et à lâcher prise, par crainte de perdre le contrôle sur la performance ou les résultats. 

En conséquence, les employés ressentent souvent une autonomie limitée, ce qui diminue leur engagement et leur créativité, particulièrement dans les entreprises très orientées vers la performance.

Cette difficulté est exacerbée par les objectifs de court terme imposés par les marchés, qui poussent à des systèmes de contrôle plus stricts au détriment de la liberté d’initiative des employés.

Par ailleurs, le concept de locus de contrôle du psychologue américain Julian Rotter proposé en 1966 montre que la perception qu’ont les salariés de leur propre capacité à influencer leur environnement impacte fortement leur degré d’engagement et de satisfaction.

Un locus de contrôle interne favorise l’autonomie, car les individus se sentent responsables et capables d’influencer les résultats. Cependant, dans de nombreuses entreprises, les structures et les politiques de gestion diminuent le locus de contrôle interne, rendant les employés plus passifs et moins enclins à prendre des initiatives, d’où la nécessité de créer les conditions de l’autonomisation.

Les engagements réciproques relatifs à l’autonomie

  • Le manager bienveillant accorde une liberté d’action à ses collaborateurs et les encourage à prendre des initiatives dans le respect du cadre qu’il a prédéfini. S’il lâche prise sur le « comment », il reste ferme sur le « pour quoi »
  • Le collaborateur bienveillant exprime ce dont il a besoin pour agir en toute autonomie, est force de proposition et n’hésite pas à prendre des initiatives réalistes. S’il est autonome, il n’est pas indépendant car il fait partie d’une équipe

 Exemples de bonnes pratiques d’entreprises

  • Depuis plusieurs décennies, 3M propose à ses employés un programme appelé « 15% Time », qui leur permet de consacrer 15 % de leur temps de travail à des projets personnels ou à la recherche d’innovations en dehors de leurs missions habituelles. Cette politique est à l’origine d’inventions célèbres comme les Post-it et encourage l’autonomie en donnant aux employés la liberté d’explorer de nouvelles idées.
  • LinkedIn a mis en place les « InDays », un jour par mois où les collaborateurs peuvent travailler sur des sujets autres que ceux de leur quotidien. En leur offrant la possibilité de décider de l’activité qui leur semble la plus utile ou la plus motivante, LinkedIn encourage l’initiative personnelle et valorise l’autonomie dans la gestion de projets individuels ou collaboratifs. Cela permet aux salariés d’acquérir de nouvelles compétences et de se sentir responsables de leur développement professionnel.

8 – RECONNAISSANCE

D’après une étude réalisée par l’IFOP en 2022, 45% des salariés français estiment que leur travail n’est pas reconnu à sa juste valeur, alors que cela pourrait améliorer significativement leur motivation et leur bien-être au travail. Ce sentiment est particulièrement prononcé chez les ouvriers (53 %) et les employés (50 %).

Selon la théorie de la reconnaissance du philosophe Axel Honneth proposée en 1992, la reconnaissance sociale renforce l’estime de soi car elle valide la valeur d’un individu dans le groupe et soutient le développement de son identité. Il considère la reconnaissance comme un droit humain fondamental et son absence peut être interprétée comme une forme de « mépris social », un manque de respect qui affecte la personne dans son intégrité et sa dignité.

Le sociologue Pierre Bourdieu renforce la nécessité d’être reconnu par ses proches, ses pairs et sa hiérarchie car elle contribue à renforcer la légitimité d’un individu d’évoluer au sein d’un groupe. L’absence de reconnaissance, en revanche, peut exclure un individu de certaines dynamiques sociales, le privant de ressources et d’opportunités d’évolution.

Du point de vue du psychologue Daniel Goleman La reconnaissance active le système de récompense cérébral en stimulant la libération de dopamine et d’endorphines, neurotransmetteurs qui induisent des sensations de satisfaction et de bien-être. À l’inverse, l’absence de reconnaissance peut activer le système de stress et libérer du cortisol, ce qui peut nuire à la performance et au bien-être général.

En ce qui concerne la valorisation positive des erreurs et des échecs, un sondage réalisé par Courrier Cadres en 2023 fait ressortir que 75% des travailleurs français craignent d’être sanctionnés lorsqu’ils commettent une erreur alors que 60% considèrent que l’échec est un facteur clé d’apprentissage et de développement aussi bien personnel que professionnel, selon une enquête réalisée par LinkedIn Learning.

La psychologue Carol Dweck a théorisé en 2006 la « mentalité fixe », selon laquelle les individus évitent les situations qui pourraient révéler leurs limites. Cette mentalité est exacerbée dans le contexte français, où les normes scolaires et professionnelles valorisent l’excellence et condamnent les erreurs.

Le sociologue Claude Dubar ajoute que l’identité professionnelle en France est fortement associée au statut social et aux diplômes, renforçant le sentiment que l’échec représente une faiblesse personnelle, difficile à accepter dans un cadre où le jugement des pairs est omniprésent. La peur de l’échec reste ainsi profondément ancrée, freinant toute tentative de valorisation positive des erreurs.

Avec sa théorie de la « Mise en scène », le sociologue Erving Goffman montre l’importance pour les individus de préserver une bonne image. Dans le contexte professionnel français, cette dynamique est exacerbée : les employés et managers sont réticents à montrer des signes de vulnérabilité, craignant de perdre le respect et la confiance de leurs pairs et supérieurs. 

La plupart des personnes confondent faute (intention manifeste de transgresser une règle), erreur (non-respect d’une règle) et échec (non atteinte d’un objectif). Cacher ou ignorer une erreur ou un échec n’est pas une faute mais il faut une sacrée dose de courage pour l’avouer publiquement. Et pourtant, c’est à cette condition que salariés et entreprises progresseront, comme l’évoque le chercheur en sciences sociales Chris Argyris. Cependant, ce principe, qu’il désigne sous le terme de « double boucle », parce qu’elle nécessite de remettre en question les cadres établis par l’entreprise, reste encore très marginalisé dans les entreprises françaises, minimisant ainsi la résilience et la capacité des individus et des entreprises à rebondir, comme l’a si justement souligné Boris Cyrulnick durant la crise Covid-19.

Les engagements réciproques relatifs à la reconnaissance

  • Le manager bienveillant reconnaît la valeur et les contributions de chacun, célèbre les succès et valorise les erreurs et les échecs car il les considère comme des opportunités d’apprentissage. S’il ne condamne pas l’erreur et l’échec, il fait preuve de courage pour sanctionner la faute
  • Le collaborateur bienveillant ne craint pas de mettre en avant ses réussites, de reconnaître ses erreurs et ses échecs et cherche à en tirer les enseignements. Il fait preuve de discernement et ne reporte pas la faute sur les autres

Exemples de bonnes pratiques d’entreprises

  • Google a mis en place le programme « gThanks« , une plateforme interne où les employés peuvent envoyer des messages de reconnaissance à leurs collègues. Ce système encourage une culture de feedback positif et de valorisation des contributions de chacun.
  • Chez BlaBlaCar, un jour par trimestre est dédié au « Jour de l’erreur« , où chaque employé est invité à partager une erreur significative qu’il a commise, accompagnée des leçons apprises. Ce rituel favorise une culture de transparence et encourage les collaborateurs à voir les erreurs comme des opportunités d’apprentissage. Ce partage collectif réduit la peur de l’échec en démontrant que même les erreurs peuvent renforcer l’équipe.

9 – EPANOUISSEMENT

Selon une étude de l’IFOP publiée en 2022, 42 % des Français considèrent le travail comme un moyen d’épanouissement personnel, tandis que 58 % le perçoivent avant tout comme une contrainte nécessaire pour subvenir à leurs besoins. Cette perception varie en fonction du statut professionnel et du niveau de revenu : 49 % des cadres voient le travail comme une source d’épanouissement, contre 40 % des non-cadres. Ces données illustrent les disparités dans la manière dont le travail est vécu en France.

Il y encore beaucoup de dirigeants qui considèrent que la motivation des collaborateurs est du ressort de l’entreprise et des managers et qu’elle s’obtient par l’amélioration des conditions de travail, des relations interpersonnelles ou encore les récompenses financières.

Ce n’est pas ce qu’a mis en avant le psychologue Frederick Herzberg dans les années 60 dans sa théorie bifactorielle. D’après ses travaux, agir sur ces facteurs « extrinsèques » générerait un sentiment de satisfaction et non d’épanouissement, contrairement aux facteurs « intrinsèques », tels que le sentiment d’accomplissement personnel, les perspectives d’évolution, l’autonomie, les responsabilités ainsi que l’intérêt des activités confiées et le plaisir à les réaliser.

Compte tenu de la diversité des motivations individuelles, il est difficile de considérer qu’une action sera source d’épanouissement pour tous les salariés. C’est la raison pour laquelle le management bienveillant ne consiste pas à motiver les salariés mais à créer les conditions de leur motivation et de leur laisser proposer des actions réalistes.

Les engagements réciproques relatifs à l’épanouissement

  • Le collaborateur bienveillant prend en main son épanouissement professionnel, exprime ce qui le motive et le démotive et recherche des solutions réalistes en concertation avec son manager. Il fait la part des choses entre ce qui est de son ressort et celui de son entreprise

 Exemples de bonnes pratiques d’entreprises

  • Décathlon a instauré un programme de deux jours intitulé « Oui, j’ai des talents» pour permettre aux salariés d’identifier les activités et les missions qui seraient source d’épanouissement. Cette démarche se termine par une proposition d’une action ou d’un projet qui est à la fois source d’épanouissement pour la personne et de création de valeurs pour l’entreprise.
  • Airbnb a instauré le « Experiential Learning Program », un programme qui encourage les employés à définir leurs propres objectifs d’apprentissage et à s’investir dans des projets transversaux. Ce programme permet aux collaborateurs d’apprendre en dehors de leurs fonctions habituelles et de développer des compétences qu’ils peuvent réinvestir dans leur parcours professionnel. Les employés peuvent également suivre des formations selon leurs besoins personnels et professionnels, renforçant ainsi leur autonomie dans leur épanouissement.

10 – RESPONSABILITE

Un sondage réalisé en 2020 auprès de 1 500 salariés français par Swile  indique que 54 % d’entre eux estiment ne pas être suffisamment responsabilisés et impliqués dans les décisions affectant leur travail quotidien.

Le faible niveau de responsabilisation des salariés serait-il une volonté de la hiérarchie et dépendrait-il du système de management dont le fondement repose encore très largement sur les principes de « Command & control » et de « subordination unilatérale hiérarchique »  ?

Selon le psychologue social américain Stanley Milgram, le simple fait de donner une instruction à un individu le mettrait dans un « État agentique », à savoir qu’il se considère comme un simple agent exécutif de décisions dont il n’a pas pris part, ce qui a pour conséquence de ne pas se sentir responsable de ce qui lui est demandé, ainsi que des résultats de son acte lorsqu’il a respecté la consigne.

Dans sa « Théorie de l’engagement », le professeur en psychologie sociale Charles Kiesler a mis en avant qu’il y avait trois principaux facteurs qui amenaient une personne à se sentir responsable de ses actes : le choix de l’acte, l’importance de l’acte et le fait d’avoir déclaré publiquement son engagement. C’est pour cette raison qu’il est indispensable de mettre en place des processus qui permettent de vérifier le niveau d’intérêt et d’utilité qu’éprouve un collaborateur pour son travail, lui rappeler qu’il a toujours le choix de faire ou de ne pas faire ce qui lui est demandé et lui faire déclarer officiellement son engagement.

Concernant la notion de choix, nous avons assisté cette dernière décennie à un courant de pensée qui partait du principe que les salariés n’étaient pas libres en entreprise, compte tenu du fait que tout leur était imposé. S’il est vrai, comme l’affirme le philosophe Thomas Hobbes, que les individus ont dû renoncer à une partie de leur liberté, à savoir se conformer aux normes du groupe pour rester en son sein et obtenir sa protection, ils sont cependant toujours gardés leur « libre-arbitre », comme le souligne fort à propos Jean-Jacques Rousseau, à savoir leur capacité à faire des choix et d’en assumer les conséquences.

N’oublions pas que nous avons toujours le choix. Certains sont des choix par dépit et d’autres des choix par envie. Aucune entreprise ne force un collaborateur à la rejoindre ni ne le contraint à rester car cela irait à l’encontre des libertés individuelles.

L’inconvénient dans notre pays est que notre code du travail ne va pas dans le sens de la responsabilisation des salariés puisqu’il considère que l’entreprise et ses représentants sont responsables de tout.

Non seulement les managers doivent assumer l’entière responsabilité des modes d’organisation et de collaboration mais en plus ils ne doivent pas faillir à leurs responsabilités, doivent se montrer exemplaires et tout savoir sur tout.

On imagine aisément la pression que l’on met aux managers, non seulement vis-à-vis de leur travail mais aussi de celui de chacun de leurs collaborateurs. Rien d’étonnant à ce qu’ils présentent une « face idéale » selon l’expression du sociologue Erving Goffman, ou qu’ils se montrent égotiques compte tenu de cette épée de Damoclès.

C’est pourquoi ce dernier engagement réciproque a pour but de s’émanciper de ce cadre infantilisant qui positionne le manager en « parent » et le collaborateur en « enfant » en rappelant que tous deux sont des adultes responsables qui ont fait des choix personnels qu’ils doivent assumer.

Les engagements réciproques relatifs à la responsabilité

  • Le manager bienveillant n’impose pas mais propose et consent à faire évoluer son point de vue lorsque l’échange aboutit à une meilleure décision pour l’entreprise et l’équipe. Il met son ego de côté et ne confond pas autorité hiérarchique et autoritarisme
  • Le collaborateur bienveillant agit comme un adulte responsable qui respecte ses engagements et assume les conséquences de ses actes. Il ne se met pas en victime car il a toujours le choix

Exemples de bonnes pratiques d’entreprises

  • Amazon a instauré des réunions de « Post-mortem » où les équipes analysent les erreurs commises dans des projets échoués. L’objectif est que chaque membre prenne la responsabilité de ses contributions et en tire des enseignements concrets. Ces réunions encouragent la responsabilisation en amenant chacun à réfléchir aux conséquences de ses décisions, favorisant ainsi une culture d’amélioration continue.
  • Google a mis en place un système d’ »Accountability Partners« , où les salariés choisissent un collègue pour suivre et rendre compte de leurs objectifs mutuels. Ce système encourage chaque individu à prendre des engagements clairs et à en rendre compte régulièrement, renforçant ainsi la responsabilité personnelle. Une enquête interne de Google réalisée en 2023 a montré que ce programme augmente de 30 % l’accomplissement des objectifs personnels et renforce la responsabilisation des salariés.

Nous venons d’évoquer l’importance de la bienveillance réciproque entre managers et collaborateurs mais, à bien y réfléchir, elle devrait concerner tous les acteurs de l’entreprise.

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[1] CIPD : Chartered Institute of Personnel and Development

[2] Source : EU-OSHA de 2015, Pew Research Center de 2019, ANDRH de 2021 et Technologia de 2022

[3] Source : Malakoff Humanis de 2022

[4] Source : Technologia 2023

[5] Source : Etude State of the Global Worplace 2022

[6] HBR : Harvard Business Review

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